"Ce que je ne peux pas dire, je l’écris. Ce que je ne peux pas écrire, je le dessine."
Dans sa nouvelle exposition "Écriture et art, l’entre-deux langage" à l'Institut français de Tel-Aviv, l’artiste et écrivain Arielle Sibony dévoile le concept de "désécriture" : un langage artistique unique qui lui permet de toucher un large public. "C’est ma signature", dit-elle. L’exposition qui sera inaugurée le 12 septembre prochain à 19h30 devait avoir lieu l’an dernier, mais a été reportée en raison de la guerre. Avec ce genre artistique inédit et universel, Arielle s’exprime autrement que par les mots, et laisse une place de choix à l’interprétation. Signes entremêlés, symboles et formes géographiques ponctuent les toiles d’Arielle, qui crée à l’infini.
Née à Paris, Arielle Sibony, Franco-israélienne, a fait son alyah il y a 10 ans. Fille du mathématicien, psychanalyste et philosophe Daniel Sibony, Arielle a très vite eu besoin de trouver sa voie. Diplômée en philosophie et en lettres à Paris, elle a fait une année de césure dans le village arabe de Baqa al-Gharabiyye en Israël, une expérience significative qui lui a permis de quitter le cocon familial et de s’émanciper, avant de s'inscrire en master à l’université de Tel Aviv.
"Mon art découle de mon identité. Il faut sortir de sa zone de confort, c’est là qu’on se découvre. Je voulais savoir si j'étais une intello car née dans une famille d’intellos, ou si j’aimais vraiment cela. Mon expérience au kibboutz et dans la famille arabe, chez qui j’ai logé pendant un an m’a énormément ouvert à autrui. J’ai appris l’arabe avant l’hébreu. Après mon master, je me suis mise à écrire et je me suis intéressée à la féminité en Israël, comme miroir de la société. Israël, c’est un échantillon du monde et on l’observe à travers les femmes", déclare Arielle.
La jeune femme s’est alors lancée dans l’écriture de biographies de personnalités israéliennes, dont celle d'Itzhak Shamir, ancien Premier ministre de l’Etat hébreu, avant de sortir son premier roman Corps à corps en 2022, qui aborde les problématiques du corps.
L'amour inconditionnel pour l’écriture
La passion d’Arielle pour l’écriture l’a rapidement menée sur le chemin de l’art, qui fait aujourd’hui partie intégrante de sa vie.
"De l’écriture est née la désécriture, c’est un concept obsessionnel chez moi qui vient de la frustration de ne pas être lue par les personnes que j’aime le plus en Israël, non francophones. Je me suis questionnée par rapport au langage et instinctivement, j’ai produit un langage universel en quelque sorte, où chacun me transmet sa propre interprétation", déclare Arielle.
Laisser place à l’interprétation
Dans ses toiles, reflet d’une quête perpétuelle d’identité, Arielle veut transmettre un prolongement de l’écriture conventionnelle. Tout se passe autour du langage. "Quand j’écris un roman, il y a des règles, or quand j’enlève tout, ça donne des pures formes, et c’est au public de voir ce qu'il souhaite voir", déclare-t-elle.
Dans ses oeuvres très originales, qui frappent dès le premier coup d’oeil, on aperçoit des mots, des lettres en arabe, en hébreu ou en japonais, des visages, des corps de femmes et même des roquettes. Le style abstrait d'Arielle parle à chacun d’entre nous et suscite la curiosité : le spectateur est livré à lui-même, seul face à une multitude de significations.
"En général j’écris sur mon moleskine (carnet), et je désécris sur la page d'à côté, c’est une sorte d’art à la croisée des langages et une façon de parler de moi sans me mettre à nu. Mon écriture est complètement fictionnelle, la désécriture est inhérente à mon écriture, et j’adopte le concept de sérendipité. Je ne sais jamais vers où je vais, je me laisse porter par la création et le hasard", affirme Arielle.
Un langage de l’entre-deux
Pour révéler au monde la dualité inconsciente qui l’habite et dicte sa vie, Arielle a conçu un langage de l’entre-deux, qui lui est propre : entre deux identités, Paris et Tel Aviv, deux langues, le Français et l'Hébreu, mais aussi en mémoire de sa soeur jumelle qu’elle n’a jamais connue, décédée à la naissance.
"Je porte ce double en moi, j’ai toujours vécu pour deux : double-licence, écrivaine-artiste, Paris-Tel aviv, et c'est très présent dans mon art. C’est pour cela que ça me tenait à cœur d’exposer à l'Institut français, car ce lieu reflète ma double identité franco-israélienne, je jongle sans cesse entre les deux cultures. Le triangle par exemple, est un symbole omniprésent dans mes toiles car il me représente, je suis une sorte de pont entre Paris et Tel Aviv et entre mes soeurs plus âgées et mon frère", explique Arielle.
Pour la jeune femme, l’art et l’écriture sont corrélés et forment un tout. L’art a rythmé les périodes de sa vie et ses états d’esprit, tout comme la littérature l’a accompagnée durant son parcours. Elle commence depuis peu à fusionner les deux arts en intégrant le papier dans ses toiles, avec des collages.
"Mon message est que je ne veux pas avoir de message. Je souhaite laisser les gens libres de dire et décider ce que mon art leur évoque; je ne suis pas là pour imposer mes problèmes ou mes ressentis", a conclu Arielle.
Avant l’Institut français, Arielle a exposé entre autres à Beit Hana et Rothschild à Tel Aviv, à Lisbonne, à Bordeaux et a vendu ses toiles à Los Angeles. En octobre, elle fera le closing de la résidence d’artistes à Lisbonne, et prévoit d’exposer à Paris avant de publier son nouveau roman En silence, dans l’année à venir.
"Écriture et art, l’entre-deux langage", une exposition qui ne laisse pas indifférent, à découvrir jusqu’au 3 octobre à l’Institut français de Tel Aviv.
Caroline Haïat
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