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Essai de Kaid Abu Latif | Ketourah, Madian et l'Héritage vivant : une perspective sur la résilience

Photo du rédacteur: Caroline HaïatCaroline Haïat

Des femmes bédouines attendent à la clinique Scotts Mission de Tibériade. Cette photo, prise entre 1934 et 1939 fait partie de la collection de photographies de G. Eric et Edith Mattson à la Bibliothèque du Congrès
Des femmes bédouines attendent à la clinique Scotts Mission de Tibériade. Cette photo, prise entre 1934 et 1939 fait partie de la collection de photographies de G. Eric et Edith Mattson à la Bibliothèque du Congrès

Lorsque le post-trauma, l’extase et la résilience s’entremêlent, cela crée une expérience complexe qui est en réalité un ensemble de perceptions et de réactions opposées. La personne oscille entre une peur lancinante, un désir de correction et de libération, et une attirance pour la douleur comme source de reconnaissance et de traitement du sens. C’est un mélange dans lequel le corps et l’esprit ne connaissent pas de rupture complète ni de rétablissement total, mais coexistent plutôt dans la fine frontière entre la survie et l’éveil émotionnel incessant. La lutte pour légitimer une langue brisée, celle qui tente d’exprimer des expériences difficiles, est la première étape du processus de guérison et de reconstruction.


La langue, dans ce sens, n’est pas seulement un outil pour transmettre un message, mais aussi un pont pour remodeler la réalité interne et sociale. La parole est une recherche de sens, une recherche qui va au-delà de la dimension personnelle et touche à la dimension universelle. J'ai étudié le personnage de Ketourah (femme d'Abraham); grâce à elle, une profonde compréhension du processus de voyage a émergé, non seulement sur les routes mais aussi dans l'âme.


Le parallèle entre l’arabe et l’hébreu, deux langues appartenant à une famille linguistique commune mais porteuses d’identités culturelles et politiques différentes, est une invitation à observer la complexité du vivre ensemble. Les mots, qui sont basés sur des lettres communes, nous rappellent une fois de plus que les différences ne sont pas inhérentes à l’essence, mais à la perception et à l’usage.


La rencontre entre deux peuples dans un même pays peut ressembler à un long fleuve. Toujours en mouvement, parfois turbulent et parfois silencieux, mais toujours reliant ses deux rives. Cela met l’accent sur la lutte entre la survie et la prospérité, entre la mémoire et la purification, entre la douleur et la libération. Il s’agit d’une lutte qui n’est pas seulement personnelle, mais collective et politique. Dans un monde où les conflits dictent la réalité, il est nécessaire d’en extraire des enseignements qui créent des ponts. C’est un voyage qui nous amène à voir comment le traumatisme devient un défi moral et comment la justice n’est pas seulement une loi mais aussi un mode de vie.


Ketourah, épouse d'Abraham, avec sa présence symbolique et historique, offre un nouveau regard sur la tension complexe entre les épouses d'Abraham et ses fils. Elle représente une dimension cachée du discours historique, qui tend à focaliser l’attention sur les personnages centraux. La présence de cette dynastie, associée à la région de Madian, offre une autre dimension pour comprendre l’héritage d’Abraham dans un contexte culturel et politique.


Ketourah n’est pas seulement l’autre épouse d’Abraham, mais un symbole de continuité qui n’est pas au centre du drame. Grâce à elle, il est possible d’examiner le processus par lequel les récits historiques se tissent à travers des choix politiques et religieux. 


La région de Madian, mentionnée dans l’Ancien et le Nouveau Testament ainsi que dans le Coran, devient un carrefour culturel. Grâce à elle, il est possible de comprendre comment la tradition se propage à travers différentes régions géographiques et cultures. Cela donne une perspective qui permet d’établir un lien entre la Bible et le Coran, entre le judaïsme, le christianisme et l’islam, et entre le passé et le présent.

Région de Madian
Région de Madian

Ketourah apporte une autre dimension. Elle ne rivalise pas avec Sarah ou Hagar, mais propose plutôt un récit paisible, d’évolution en dehors des sphères du pouvoir. Ketourah symbolise la possibilité d’accueillir la pluralité sans succomber à la division, en reconnaissant l’existence de nombreuses identités au sein d’une même tradition familiale.


La mention de Madian, qui est à la fois une région et un peuple, suggère de réexaminer l’influence de cet espace géographique et culturel sur le récit d’Abraham. Madian représente un carrefour de cultures, de traditions et d’idées. En observant Ketourah et ses six fils, nous pouvons comprendre comment l’histoire d’Abraham ne concerne pas seulement un père, mais aussi la multitude et la complexité de ceux qui perpétuent son héritage.


Abdulkarim Soroush, un penseur iranien qui a commencé sa carrière universitaire en étudiant la chimie, a ensuite exploré le lien entre éducation et religion. Il a remis en question les méthodes traditionnelles d’enseignement religieux et proposé de nouvelles approches qui ont soulevé de vives questions sur les méthodes d’enseignement acceptées. 

Abdulkarim Soroush
Abdulkarim Soroush

L’approche innovante de l’éducation religieuse du professeur Ayman Agbariya, qui a quant à lui réussi à connecter les mondes de la poésie, du théâtre, de la théorie et de la critique, va au-delà du modèle rigide et dogmatique de l’enseignement traditionnel. Son approche vise à éveiller chez les étudiants une conscience profonde de leurs limites et à les voir comme des partenaires du grand plan divin. Au lieu de rechercher des idéaux divins de puissance et de connaissance infinies, l’approche se concentre sur la vie terrestre comme un appel divin, rempli d’opportunités de croissance personnelle, d’apprentissage et de réalisation de soi.


Le professeur Agbaria suggère notamment de considérer la religion non pas comme une idéologie fermée qui fournit des réponses absolues, mais comme un espace dynamique de connexions humaines et de dialogues vivants, qui lui donnent un sens renouvelé.

Ayman Agbariya
Ayman Agbariya

Anas ibn Malik rapporte que le Prophète Muhammad a dit : "Si l'Heure du Jugement arrive et que l'un d'entre vous a un petite plante dans sa main, et s'il est en mesure de la planter avant l'Heure, qu'il le fasse et la plante." Dans une autre version citée par Ahmad, il est dit : " Si le Jour du Jugement arrive et que l'un d'entre vous a un petit arbre dans sa main, il doit le planter."


J'ai donc essayé de comprendre le sens de ce hadith (action du prophète). Je me souviens comment ma mère m’a toujours encouragé à devenir agriculteur. Elle était à mes côtés à chaque fois que je semais des graines, et m’apprenait à cultiver les plantes. Elle s'assurait aussi que je vende la récolte, que ce soit dans un chariot de supermarché du quartier ou dans un petit stand près de la mosquée. C’était sa façon de me préparer à la vie, de m’apprendre l’indépendance et de me fortifier pour l’avenir.


Un jour, quand j’ai entendu ce hadith, je lui ai demandé pourquoi le Prophète avait évoqué spécifiquement la plante ? Il aurait pu choisir autre chose. Qu’est-ce qu’une plante a de si spécial pour faire face à la destruction et à la mort d’une manière qu’aucune autre chose ne peut faire ?


Elle m'a regardé et a souri. J'ai eu honte. Comme si elle se disait, ‘quel imbécile mon fils’. Mais elle n'a rien dit. Son silence m’a fait me sentir encore plus coupable. Encore une fois, j’avais l’impression de la décevoir. J'ai toujours essayé de ne pas la décevoir, mais d'une manière ou d'une autre, cela arrive toujours. Puis, elle m’a finalement répondu :


"Imagine", dit-elle d’une voix douce mais ferme, comme les racines d’une plante qui s’accrochent au sol. "Lorsqu'une plante cesse de recevoir de l'eau, lorsqu'elle sait qu'elle est confrontée à une mort certaine, elle fait quelque chose d'étonnant. Elle commence à expulser toutes les graines qu'elle contient, de toutes ses forces, même si tu n’avais pas vu qu'il y avait des graines dedans avant. Lorsqu'elle est en détresse, lorsqu'elle sait que son temps est limité, elle répand ses graines et ses fleurs pour que la vie continue, même sans elle."


Elle a alors de nouveau souri, un sourire chaleureux, et je me suis assis là, contemplant sa sagesse étonnante. J’ai commencé à réfléchir au hadith, à la plante et à ce qu’elle nous apprend. J’ai soudain réalisé que cette plante n’était pas seulement un symbole d’agriculture ou de résilience, mais une profonde leçon de ténacité et de foi dans la vie. Même dans les plus grands moments d’échec, quand tout semble perdu, la plante ne se bat pas pour elle-même, mais pour l’avenir, pour la continuité de la vie.

Néguev
Néguev

Abraham habita entre Kadès et Shur, et séjourna à Guérar (Genèse, chapitre 20, verset 1). Abraham, un nomade intemporel de la foi, a entrepris un voyage centré non seulement sur le changement de lieu physique, mais aussi sur un voyage mental et spirituel. Son passage à travers la rivière Guérar, entre Kadès et Shur, contient une métaphore qui soulève des questions sur la place de l’homme et de la société dans le paysage changeant du temps et du lieu.


La rivière Guérar, qui relie l'ancienne et la nouvelle Rahat, la plus grande ville bédouine de la société arabe en Israël, un endroit qui semble être un endroit isolé, est devenue, avec le début de la guerre, un centre de vie, un sujet de discussion sur la coexistence et la création de projets d'action à grande échelle, peut-être précisément en raison de sa transparence.


Abraham, dans ses pérégrinations, a laissé derrière lui non seulement des histoires du passé, la transparence des marges, la surprise de la persistance et la possibilité d’extraire le bien de partout – à la fois de la grille transparente et de points qui semblent perdus. Serons-nous capables d’en tirer les leçons et de trouver la voie pour créer une société meilleure, fondée sur des valeurs anciennes adaptées aux besoins de notre époque ?


Dans la Grèce antique, l’idée de l’hospitalité d’Abraham n’a pas reçu la même place d’honneur. Même des valeurs fondamentales comme l’implication des parents ont souvent été remises en question. Sparte en est un exemple clair. Une société connue pour son isolement et son attitude réservée envers les étrangers. La communauté spartiate, concentrée sur sa force militaire et son identité de groupe, préférait l’isolement à l’ouverture, et par conséquent l’hospitalité n’était pas une valeur centrale dans sa culture.

Tissus bédouins
Tissus bédouins

Mais sommes-nous capables d’appliquer cette valeur à notre réalité complexe? Un examen plus approfondi de la région du Néguev, et en particulier de ce qui se passe au centre médical Soroka de Beer Sheva, dresse un tableau douloureux. Les syndromes et maladies héréditaires graves sont particulièrement fréquents dans certaines régions et reflètent parfois des modèles sociaux et culturels. 


Ces phénomènes mettent en évidence les défis sociaux, sanitaires et culturels de la région. L’isolement a un prix élevé. Dans un monde qui cherche un équilibre entre la préservation des traditions et l’ouverture au changement, l’hospitalité, même au sens large d’une société partagée, peut être non seulement une valeur morale, mais aussi un outil pratique pour améliorer la qualité de vie et promouvoir la santé publique.


Les noms ne sont rien d'autres que des symboles, tandis que le cœur brisé d’une mère, son amour qui ne connaît pas de limites et les larmes liées à son fils n’ont besoin d’aucune définition ni d’aucune étiquette. Cette douleur appartient à chaque mère qui se retrouve à embrasser le vide au lieu de serrer son fils chaleureusement dans ses bras.


Cet essai a été écrit par Kaid Abu Latif, agriculteur culturel, journaliste, chercheur à l'Institut Reshimo de Beer Sheva et directeur artistique du Théâtre mixte Alyamama.


Pour lire la version longue : site Safa Hadasha


 
 

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