
Très enjouée, dynamique, le sourire aux lèvres, la niaque : Morgane est une boule d’énergie qui ne passe pas inaperçue. Cette personnalité atypique, aux cheveux colorés et aux nombreux piercings et tatouages s’impose dans l’espace public tant par sa présence que par la profondeur de ses messages qu’elle colle sans relâche sur les murs des villes. Fondatrice du mouvement "Yiddish feminist", Morgane défend corps et âme les valeurs du judaïsme à travers son art de rue. Ses messages percutants, adressés au peuple juif ont pour but de faire valoir l’unité et la force de l’identité juive, qui doit aujourd’hui plus que jamais, rejaillir. Judaïsme, féminisme et revendications queer sont les thèmes principaux de ses collages, véritables boucliers face à un monde hostile. Portrait.
Un coup de foudre pour la Terre sainte
En 2009, à l’âge de 24 ans, Morgane, originaire de France, décide de faire son alyah. Un tournant significatif dans la vie de la jeune femme qui ne s’était jamais rendue en Israël auparavant. Un an plus tôt, Morgane effectue son premier voyage en Israël à l’occasion du mariage de son cousin à Jérusalem, et tombe profondément amoureuse du pays. Quelques mois plus tard, elle s’y installe définitivement après un long voyage en Argentine, au cours duquel elle rencontre des Israéliens.

"C’est en Argentine que j’ai fait la connaissance d’Israéliens pour la première fois, et cela a éveillé mon envie d’aller en Israël qui était enfouie en moi depuis toujours. Je suis issue d’une famille très attachée à l’Etat hébreu mais je n’y étais jamais allée. Dès que j’ai posé le pied sur le sol israélien, j’ai ressenti quelque chose d’incroyable, j’étais émerveillée, cette atmosphère m’a immédiatement plu. J’ai eu un véritable coup de foudre au premier regard! Je me souviens m’être assise devant le Kotel et m’être dit :‘je ne quitte pas ce lieu tant que je n’ai pas ma réponse’; à la fin de la journée j’étais sûre de rester en Israël", se souvient Morgane.
A son arrivée en Israël, Morgane rejoint rapidement le monde de la high-tech en travaillant dans des startups pour gagner sa vie, mais elle rêve d'autres horizons. Diplômée en arts et en mode, elle souhaite percer dans le milieu de l’art, sa vraie passion.
Féminisme et activisme
Morgane a grandi dans une famille ashkénaze communiste et a été imprégnée d'activisme dès son plus jeune âge. Afin de faire entendre ses idées et ses revendications, elle fonde en 2020 avec l’une de ses meilleures amies, le mouvement "Hastikeriot", équivalent des colleuses en France. "On était en contact avec les Colleuses de Paris, et on voulait se pencher sur les problématiques du féminisme qui sont spécifiques à la société israélienne, via nos messages. Cela m'a donné le courage de dire haut et fort mes opinions et d’investir ainsi l’espace public", affirme Morgane.
Pendant quatre ans, elle travaille sans relâche sur le projet des "Hastikeriot", puis elle crée "Yiddish feminist", en parallèle. "En tant que personne Queer, je voulais représenter les Queer en Israël sans que cela n’affecte le travail des Hastikeriot. Le nom 'Yiddish feminist' est un hommage à ma grand-mère qui était pour moi un troisième parent. Elle a été l’une des premières figures féminines dans ma vie et elle parlait couramment le Yiddish, j’ai donc associé les deux concepts", précise la jeune femme.

Le bouleversement du 7 octobre
Fan inconditionnelle des festivals et rave party en tout genre, Morgane aurait dû participer au festival Nova le 7 octobre 2023 avec son mari. Mais cette année-là, des projets professionnels l’ont empêché de s’y rendre, la sauvant miraculeusement du massacre. Le silence des féministes dans le monde face aux horreurs vécues par les Israéliennes l’a profondément marquée. Elle a également vécu, avec son groupe des Hastikeriot, l’antisémitisme de la part des membres des colleuses. "Elles savaient que nous étions basées à Tel Aviv et n’ont manifesté aucun soutien. Certaines personnes nous ont bloqué ou nous ont envoyé des messages de haine, j’ai trouvé cela très violent, ajouté à la violence que nous avions subie le 7 octobre", raconte Morgane.
La montée foudroyante de l’antisémitisme dans le monde a été un véritable choc pour Morgane; alors que sa propre grand-mère était rescapée de la Shoah, ce retour aux heures sombres de l’histoire l’a profondément troublée. "Les gens célébraient dans la rue les attaques en Israël en toute impunité, cela m’a fait un déclic et je me suis dit, je dois agir à travers davantage de collages", dit-t-elle.

Toutes ces prises de conscience ont amené Morgane à multiplier les initiatives de collages pour exprimer sa colère dans un premier temps, puis pour guérir et survivre. Survivre à l’abominable torrent de haine qui s’était déversé sur le peuple juif en une fraction de seconde, dans l’indifférence absolue du reste du monde.
"Être Juif est une bénédiction"
En novembre 2023, Morgane réalise ses premiers collages en réaction à l’inaction des féministes qui n’ont pas soutenu les Israéliennes attaquées par le Hamas. Elle transmet son indignation dans des messages réactionnaires par rapport à l’antisémitisme et au silence glaçant face à l’inimaginable tragédie. Morgane a adressé ses messages à la diaspora en montrant que l'unité vaincra toujours.

Fière de revendiquer les valeurs du judaïsme, Morgane a collé à Tel Aviv, notamment sur les murs du célèbre centre Dizengoff mais aussi à Beersheva, dans les villes du centre d’Israël, à Paris, à Athènes et même en Islande. Parmi ses messages les plus poignants, toujours écrits en anglais pour ajouter une note universelle, on retient : "Être Juif est une bénédiction", "La joie juive est une résistance" ou encore "Protégez votre magie juive", "Dites le haut et fort : fiers d'être Juifs".
"Mon but est de remonter le moral à la population et leur montrer, à travers mes slogans qu’on n’est pas seuls. J’ai besoin de m’étaler dans l’espace pour crier ma douleur", affirme Morgane.
Depuis le 7 octobre, Morgane reçoit énormément de réactions et de messages de soutien de la part du public, dont des non-juifs. Sa notoriété s’est envolée et elle a désormais près de 20.000 abonnés sur Instagram. Parmi ses réfractaires, elle compte des Français juifs antisionistes, pour la plupart originaires de Tel-Aviv.
"J’écris souvent ‘nous’ à la place de ‘moi’, c’est ainsi que les gens s’identifient davantage à mes idées, cela me permet d’être une sorte de porte-parole d’une voix collective", déclare Morgane.
Deux messages très symboliques
Morgane a réalisé des dizaines de collages mais deux d’entre eux lui tiennent particulièrement à cœur, car ils ont une symbolique forte. L’un de ses premiers collages a été "Jewish joy resistance" auquel elle a ajouté "We will dance again".

"Pour moi, les petits moments de joie sont les moments de résistance, on refuse qu’on nous ôte la joie de vivre. La danse est aussi une forme de joie, elle symbolise le fait d’aller de l’avant et d’être toujours en mouvement et c’est aussi un art collectif. Je pense que quand on a subi un choc collectif, la thérapie individuelle ne suffit pas, on a besoin de la communauté pour guérir ensemble", soutient Morgane.
Son collage "Nos blessures sont vieilles de plusieurs siècles mais notre résilience et notre force le sont aussi", compte lui aussi parmi ses oeuvres les plus marquantes de sa carrière.

"Nous associer constamment à des victimes m'insupporte. Dans l'imaginaire collectif et dans l'histoire israélienne, il y a l’idée qu’on a un pays puissant qui est Israël, mais les Juifs de diaspora sont aussi forts. S'ils n'avaient pas eu la force de se battre après la Shoah, il n’y aurait eu personne pour fonder Israël. On a survécu tous ces siècles en diaspora car on avait cette résilience et la capacité de se reconstruire. La résilience n’est pas propre aux Israéliens. Je pense qu’en Israël, on doit apprendre davantage l’histoire de la diaspora et considérer qu’on peut puiser notre résilience chez les Juifs qui sont à l’étranger", a conclu Morgane.
Morgane a été sélectionnée avec 150 autres personnes pour participer à l’initiative du président Herzog, "Voice of the people", qui est une plateforme pour l'unité, le changement et la croissance. Cette initiative vise à mobiliser un large éventail de voix juives des 6 continents, à transformer leur dialogue en stratégies concrètes et à nourrir le futur leadership du peuple juif. Avec son groupe, Morgane travaille sur le rapport entre les Juifs d'Israël et de la diaspora. En parallèle, elle a mis en place des ateliers de collage avec les groupes américains de Taglit, trois heures par semaine. Elle fait aussi de la peinture murale dans les écoles et les abris anti-missile et a ouvert chez elle son studio de tatouages sur des motifs liés au judaïsme.
Caroline Haïat
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