Éduquer pour vivre ensemble en paix. Telle est la mission que s’est donnée Merav Ben-Nun, une Israélienne engagée dans l’établissement d’un changement en matière d’éducation pour les nouvelles générations. Animée par un fort désir de faire bouger les choses via l’éducation, son domaine de prédilection depuis toujours, Merav Ben-Nun a lancé une initiative majeure et significative en vue de la paix entre les peuples : créer la première crèche mixte arabo-juive à Haïfa en 2012, avec l’association Hand in Hand. Depuis, une école a également été mise en place et ne cesse de croître d’année en année. Selon Merav, les problèmes éducatifs sont à l’origine du reste des défis auxquels fait face la société israélienne. Son objectif est donc de parvenir à faire évoluer les mentalités en agissant dès la petite enfance, pour établir une société plus juste et plus ouverte, où Juifs et Arabes vivraient davantage en harmonie, main dans la main et non plus côte à côte dans la méfiance.
"Quand on apprend à connaître l’autre, les clichés tombent et on peut envisager plus tard à l’âge adulte une perspective d’entente et de paix durables dans la région", affirme Merav Ben-Nun, fondatrice de la crèche et de l’école bilingue Hand in Hand à Haïfa.
Merav est née aux Etats Unis de parents israéliens. Elle a passé son enfance entre Israël et les Etats-Unis. Après avoir obtenu sa licence et son master à l’Université de Jérusalem, en Sciences politiques et Sociologie, elle a fait son doctorat à New York en éducation universelle et éducation pour la paix de 2002 à 2008. A son retour en Israël, elle s’installe à Haïfa avec son mari et ses trois enfants, dont le petit dernier est scolarisé à l’école bilingue de Merav. Une immense fierté pour celle qui croit dur comme fer à la vie commune entre Arabes et Juifs, clé d’une société saine et équilibrée.
"Le domaine de l’éducation m’a toujours passionnée. Lorsque j'ai fait mon service dans l’unité Hashomer Farm, une base de recrutement militaire qui appartient au Corps de l'éducation et de la jeunesse, j’ai appris à connaître la société israélienne en profondeur, avec des aspects que je n’avais pas approchés auparavant. J’ai notamment découvert qu’il n'y avait pas tellement d’égalité entre les citoyens et cela a été mon point de départ", déclare Merav a Itonnews.
L’assassinat d'Yitzhak Rabin, un tournant majeur
A l’âge de 20 ans, Merav est profondément marquée par l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, symbole d'espoir de la paix. Cet événement tragique a énormément influencé sa carrière et sa vision d’envisager l'avenir; les perspectives de voir avancer la paix s’écroulaient en raison de groupes politiques qui mettaient tout en œuvre pour nuire au rapprochement des peuples.
"Cela a été une crise importante pour le pays mais aussi au point de vue personnel et a constitué une cassure qui m’a fait prendre conscience que je devais m’orienter vers l’éducation pour renforcer les lieux qui promeuvent l'entente entre Juifs et Arabes. Le but final est d'agir en faveur d'une société où les citoyens jouissent des mêmes droits et des mêmes opportunités, ce qui n'est pas le cas actuellement", affirme Merav.
Une école multiculturelle et bilingue
Quand elle rentre de New York avec sa famille, il est important pour Merav de perpétuer l’éducation qu'ont reçue ses enfants là-bas. "Haïfa est une ville multiculturelle et nos voisins sont arabes, alors pourquoi séparer les écoles de nos enfants?" s'interroge Merav. Elle décide alors avec plusieurs parents et l’association Hand in Hand, de monter une crèche mixte composée à l'époque de 14 enfants, 6 Juifs, 6 Arabes et 2 Bahaim (religion monothéiste indépendante). Aujourd’hui, l’école s'est agrandie et propose un cursus mixte jusqu’en classe de 3e.
"Le fait de séparer les Juifs et les Arabes dans les écoles a conduit aux problèmes que nous connaissons aujourd’hui dans la société, l’éducation joue un rôle crucial à ce point de vue. Les Juifs craignent les Arabes et ont même peur d’entendre la langue, c’est pour cela qu’ils doivent apprendre très tôt qu’il y a des personnes de culture différente, pour ne plus avoir de craintes", affirme Merav.
Dans l’école bilingue, Juifs, Arabes, Chrétiens, Druzes, Bahaim ou encore Arméniens grandissent ensemble. Dans chaque classe, il y a une professeur arabe et une professeur juive. A la crèche, les enfants apprennent les chants et les histoires, fêtent Noël, le Ramadan et Hanoucca, tandis qu’à l’école, ils étudient l’hébreu et l’arabe écrit et parlé.
"C’est fantastique et à la fois difficile. Nous faisons face à de nombreux challenges; au début, la mairie s’est opposée à notre projet, mais nous avons exigé de faire partie du domaine public, car nous ne voulions pas cibler uniquement les gens qui ont les moyens, nous pensons que c’est une solution qui doit pouvoir concerner tout le monde", déclare Merav.
"Les Arabes sont toujours très partants pour s'inscrire, car cette école représente pour eux un moyen de s’intégrer davantage dans la société et d’apprendre l'hébreu très tôt, mais les Juifs sont plus réticents, surtout depuis la guerre," dit-elle.
Merav a également constitué un comité de parents afin de renforcer leur influence et d'élargir le réseau. Grâce au soutien inlassable des familles locales, les programmes de l’école de Haïfa ont connu une croissance spectaculaire. L’objectif de Hand in Hand est de poursuivre cette expansion d’année en année, et éventuellement jusqu’à la terminale.
Initier le corps enseignant à l’importance de la coexistence
Selon Merav, l’éducation des jeunes élèves est primordiale, mais celle du corps enseignant l’est encore davantage. Depuis deux ans, elle est à la tête du programme Min Habe’erot de l’Institut Hartman à Jérusalem. Créé par David Hartman en 1976, l’Institut de recherche et d'éducation juif propose une pensée et une éducation juives pluralistes aux universitaires, rabbins, éducateurs et dirigeants de la communauté juive d'Israël et d'Amérique du Nord.
Depuis 10 ans, le programme Min Habe’erot renforce les minorités d'Israël par le savoir et la connaissance, afin d’aider notamment la communauté juive à se sentir à l’aise avec la communauté arabe. Environ 200 personnes venues de tout Israël, issues du secteur de l’éducation participent au programme chaque année. Lors de séminaires et de 8 à 9 sessions d’une trentaine d’heures au total, les groupes apprennent tant les textes du Coran que du Tanah mais aussi les textes modernes de culture, de religion et de poésie des deux cultures. L'objectif est ensuite de diffuser le savoir dans les écoles et de proposer un enseignement multiple et tourné vers la culture de l'autre.
"Depuis le 7 octobre, les cartes ont été rebattues et nous devons agir deux fois plus pour prouver que la coexistence et la vie commune sont la seule voie vers la paix, malgré les difficultés que nous rencontrons. La réalité sur le terrain est entièrement commune, dans de nombreux endroits Juifs et Arabes travaillent ensemble et rien n’a changé, donc nous devons nous battre pour que cela ne soit pas entaché. Pour assister à de véritables résultats, le changement de perspective doit venir du haut de la pyramide. Nous devons combler les fossés, afin que Juifs et Arabes vivent en paix de manière pérenne", a conclu Merav Ben-Nun.
Caroline Haïat
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