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Reconnaître l’Âkira : justice pour les Juifs oubliés du monde arabe

  • Photo du rédacteur: Caroline Haïat
    Caroline Haïat
  • 27 juin
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 juin

Famille de Dinah Landier
Famille de Dinah Landier

"Cela s’est fait de manière insidieuse, peu à peu, les Juifs se sont sentis rejetés et ont été contraints de quitter la Tunisie", se souvient Dinah Landier, née à Tunis. Le départ forcé des Juifs des pays arabes est au cœur de la mission de l'Observatoire des juifs réfugiés des pays arabes et d’Iran, fondé à Paris par David Dahan. Au départ, c'était un simple groupe WhatsApp, puis petit à petit, une véritable association s’est constituée, avec pour objectif de faire reconnaître tant au niveau politique que judiciaire la tragédie de l’Âkira : le déracinement forcé de près d’un million de Juifs des pays arabes et d’Iran entre 1945 et 1988. L’Observatoire se bat également à travers ses actions pour l’intégration de cet événement historique dans les manuels scolaires, aux côtés d’autres épisodes d’épuration ethnique ou de discriminations subies par des minorités du monde musulman (chrétiens, Yézidis, Zoroastriens...). La reconnaissance de l’Âkira et son enseignement permettraient aussi de lutter contre l’antisémitisme, en sortant d’une vision binaire où l’Occident serait toujours coupable et le monde musulman systématiquement victime.


"Au niveau politique, on agit pour faire reconnaître l'Âkira par les différentes instances nationales comme internationales. Et au niveau judiciaire, le processus se déroule devant les différentes cours, parce que l'on estime qu'il y a une épuration ethnique qui a eu lieu dans les différents pays arabes. Il y a des faits, des lois, mais aussi des décisions administratives qui ont été prises et qui engagent la responsabilité des Etats, voire des auteurs, quand ils sont encore vivants", explique David Dahan à Itonnews.
David Dahan
David Dahan

David souligne par ailleurs que l’Observatoire "communique beaucoup sur la mémoire, l'histoire et la culture juives".


"On fait tout ce travail essentiellement pour les non-juifs, parce qu’ils connaissent beaucoup moins l’histoire des sépharades et des mizrahim. C’est normal parce qu'au lendemain de la guerre, le monde juif était essentiellement ashkénaze. Mais la communauté sépharade, c’est 2 500 ans d’histoire qui se sont volatilisés en l’espace de quelques décennies seulement", déplore-t-il.


Des missions engagées


L’Observatoire des juifs réfugiés des pays arabes et d’Iran a récemment lancé une campagne auprès des députés de l'Assemblée nationale pour qu’ils adoptent un vote de principe qui reconnaît l’Âkira et l’insère dans les manuels scolaires. 


"Il y a une barrière intellectuelle dans la doxa française; pour les intellectuels, c'est une nostalgie qui est essentiellement heureuse et qui part d'une vision qui est totalement binaire, avec d’un côté le monde occidental colonialiste et impérialiste et de l’autre, le monde arabo-musulman victime et colonisé. L’ex-ministre Christiane Taubira par exemple, avait explicitement dit au journal L'Express en 2006, qu'il ne fallait surtout pas aborder l'esclavage des noirs d'Afrique en parlant de l'esclavage arabo-musulman. Parce que pour elle, il ne fallait pas mettre sur le dos des jeunes arabes tout le poids de l'esclavage. Ils sont tout d’abord Français, donc ce sont des propos racistes. Et puis, pour reprendre sa terminologie, on n'a pas demandé aux jeunes français, non-arabes, si on avait le droit de parler de l'esclavage ou de la Shoah qu'il y avait eu en Europe", explique David.

Grands-parents de Dinah Landier
Grands-parents de Dinah Landier

L’engagement de l’Observatoire s’adresse en particulier aux politiques en France mais aussi à l’étranger, notamment grâce à une importante communication sur les réseaux sociaux mais également directement auprès des politiques. Ils ont en outre mis en place un collège d'experts qui va leur permettre soit d'avoir une approche judiciaire globale, soit une approche fait par fait. 


"On peut adopter une approche globale en ce qui concerne la situation des Juifs dans plusieurs pays arabes au XXe siècle. En Irak, entre 1950 et 1951, l’État a adopté deux lois qui ont spolié de manière explicite la population juive. Ces textes, sans équivoque, rendent relativement facile la mise en cause de la responsabilité directe de l’État irakien. Ce type de mécanisme répressif s’inscrit dans un schéma plus large, où les minorités — et les Juifs en particulier — ont souvent servi de boucs émissaires. Elles étaient, en quelque sorte, le punching-ball des régimes, très souvent autoritaires, qui cherchaient à canaliser la haine populaire vers une cible désignée", affirme David Dahan.

Mais ce phénomène ne se limite pas à l’Irak. On le retrouve au Yémen, en Égypte, ou encore sous Saddam Hussein, qui a utilisé les Juifs comme exutoire à la frustration populaire. En Algérie également, les Juifs ont été exclus de la citoyenneté nationale par le biais du Code de la nationalité adopté en 1962, puis révisé entre 1964 et 1966. Ce code stipulait explicitement que pour être reconnu comme Algérien, il fallait être musulman — une clause d’exclusion claire, qui ouvre la voie à des poursuites judiciaires pour discrimination étatique.


En Tunisie, l’exclusion a pris des formes plus insidieuses mais tout aussi efficaces. Des directives administratives, non publiées mais appliquées, visaient les exportateurs et grossistes juifs en les privant d’accès aux licences d’importation et d’exportation. Sans ces licences, il devenait impossible de travailler, de faire vivre une entreprise — et donc de nourrir sa famille. Cela forçait au départ. Ce n’était pas un choix, mais une nécessité. De la même manière, les avocats juifs ont été, sans aucune loi explicite, radiés du barreau de Tunis. D’un jour à l’autre, ils n’étaient tout simplement plus autorisés à exercer. Là encore, l’absence de loi ne signifie pas l’absence de persécution : l’arbitraire administratif suffisait à exclure.

Tunis
Tunis

De Tunis à Paris, la vie bouleversée de Dinah Landier


Née en Tunisie en 1950, Dinah Landier quitte sa terre natale pour la France à l’âge de 14 ans. Elle se souvient d’une enfance heureuse dans un pays ensoleillé où il faisait bon vivre jusqu’au départ forcé de sa famille.


"Même si on était en Tunisie, les Juifs ont très vite adhéré aux valeurs morales et culturelles de la France. Avec l’arrivée de l’Alliance israélite dès 1878, les Juifs ont eu accès à une éducation moderne, et n’ont cessé depuis d'étudier. C’est dans notre culture de toujours chercher à s’émanciper et à prospérer. Mais la population arabe n'a pas supporté l'expansion de la communauté juive", note Dinah.

Dinah Landier
Dinah Landier

Elevée dans une famille très sioniste dont la plupart ont rejoint Israël, Dina a toujours eu un attachement particulier à l’Etat hébreu. L’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956 a marqué un réel tournant dans la vie des Juifs tunisiens.


"Avec la constitution adoptée le 1er juin 1959, la Tunisie a complètement changé : la religion officielle était l’islam, la langue l’Arabe et le pays faisait partie de la oumma (communauté mondiale des musulmans). A partir de ce moment-là, il y a eu une lente ostracisation de la population juive. Mon père qui était commerçant recevait des papiers écrits en arabe. Progressivement, on s'est sentis rejetés et on n’avait plus le droit d’avoir des communications avec Israël ni même d’en parler. Toutes les institutions juives ont peu à peu disparu, excepté les synagogues", affirme Dinah.

"En août 1964, mon père décide, sans nous tenir au courant, de nous faire quitter la Tunisie du jour au lendemain. On s’est retrouvés à Paris dans un appartement exigu sans meubles, il a fallu tout recommencer à zéro. On était étrangers, nous devions obtenir les permis de séjour et s’acclimater à un nouveau pays, on se sentait seuls. Mes parents étaient très malheureux. Deux ou trois ans après notre arrivée, j'ai souffert d’anorexie mentale mais ce que je voulais, c'était m'en sortir à tout prix. Je suis devenue médecin et mon père est rentré dans une entreprise qui l'a valorisé; il a fini par bien gagner sa vie, et on a réussi à stabiliser notre situation", raconte-t-elle.

Tunis
Tunis

L’effacement des communautés juives dans les pays arabes


Entre 1948 et 1979, entre 950 000 et un million de Juifs ont été contraints de fuir ou ont été expulsés des pays arabes. Aujourd’hui, il ne reste qu’environ 6 000 à 8 000 Juifs dans ces pays, si l’on inclut l’Iran.


Les traces de la vie juive y ont quasiment disparu. Au Maroc, la plus grande communauté juive du monde arabe aujourd’hui, il subsiste environ 2 000 personnes. Cependant, il s’agit en grande partie de nouveaux arrivants, souvent retraités ou expatriés, venus s’y installer récemment. Les Juifs d’origine marocaine qui ont choisi de rester sont désormais très peu nombreux. Quant aux synagogues, la plupart ont été transformées ou reconverties.

Monastir, Tunisie
Monastir, Tunisie

En Algérie, la situation est encore plus radicale : tout a été détruit. Le pays a effacé presque toute trace de son passé juif. C’est également le cas en Libye, au Yémen et en Syrie, où il ne reste qu’une poignée de personnes — environ quatre individus selon les dernières estimations.


La Libye ne compte aujourd’hui plus aucun Juif. Dans les années 1970-1980, le régime de Kadhafi a brièvement envisagé le retour des Juifs libyens. Il leur proposait même une indemnisation d’un milliard de dollars pour les biens spoliés. Cette initiative, largement perçue comme fantasmatique, reposait en réalité sur un cliché antisémite profondément enraciné : l’idée que les Juifs, en tant que grands commerçants, apporteraient automatiquement prospérité et richesse au pays.


"Le cas du Yémen est tout aussi dramatique. Il est probable qu’il n’y ait plus aucun Juif dans le pays aujourd’hui. Le slogan officiel des Houthis, qui contrôlent une grande partie du territoire, est explicite : 'Mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs'. Ce cri de haine, régulièrement affiché sur les murs, symbolise à lui seul l’hostilité viscérale à l’égard des Juifs dans certaines régions", déclare David Dahan.

L’Iran, enfin, représente un cas particulier. Bien qu’il ne fasse pas partie des pays arabes, il est souvent inclus dans cette histoire d’exil. Contrairement aux autres, la communauté juive y a perduré en plus grand nombre. Toutefois, elle reste soumise à un contrôle strict et vit dans un climat ambivalent, entre tolérance officielle et antisémitisme latent.


"On reproche aux Juifs d'être sionistes, mais il faut être cohérent car on les a expulsés des pays arabes et on ne veut pas non plus qu’ils aient un Etat", déplore Dinah.


L’Observatoire revendique clairement sa très forte attache à Israël qui a reconnu officiellement cette histoire : en 2014, la Knesset a institué le 30 novembre comme Journée nationale des Juifs expulsés des pays arabes et d’Iran, en hommage à près d’un million de personnes déracinées. Cette initiative, à la fois mémorielle et éducative, marque une étape importante dans la réintégration de cette tragédie dans l’histoire juive contemporaine.

Famille de David Dahan
Famille de David Dahan

Dévoiler au public l’Âkira


Pour exposer leur projet au grand jour, David et ses équipes préparent actuellement une grande conférence et une exposition qui retraceront l’histoire des Juifs en terre arabe et perse, dès la destruction du premier temple de Jérusalem jusqu'au déracinement pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Pour l'exposition, 25 grands panneaux seront affichés par date pour marquer toutes les étapes de la vie juive pendant cette période. En outre, le conférencier Shmuel Trigano, membre d'honneur de l'association, discutera du déracinement de la population juive dans les pays arabes. 


L’Observatoire a également conclu un partenariat avec JJAC (Justice for Jews from Arab Countries), qui se bat depuis 20 ans pour la même cause et qui a participé aux négociations des accords d'Abraham pour faire reconnaître le droit des Juifs séfarades et mizrahim.


En portant ce combat à la fois dans les sphères politiques, éducatives et culturelles, l’Observatoire s’attaque à un double effacement : celui des faits, et celui des consciences. Reconnaître l’Âkira, c’est réparer, pour que les descendants des exilés trouvent enfin leur place dans le récit collectif.


Caroline Haïat



2 Comments


k.pinna
Jul 01

Bonjour, Je suis moi même une des dernières famille parties en 1987 avec ma mère de la Goulette vers Paris. Mon grand père à perdu son café chez Léon au Passage à Tunis et son restaurant de poisson a la Goulette il est parti sans rien en 1960. Ma mère n a pas voulu suivre sa famille en 1967 après les événements de Tunis nous sommes restées avec les dernières familles on peut dire que nous avons été les derniers des Mohicans attachés à leur terre natale même s ils nous ont tout pris! Je vous soutiens dans cette initiative pour nous redonner la place que nous avions dans cette Tunisie a jamais disparue.

Karine

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Caroline Haïat
Caroline Haïat
Jul 09
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Merci à vous pour ce témoignage c'est adorable


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