Dans les sols arides, une révolution microbienne pour l’agriculture
- Caroline Haïat

- 4 août
- 3 min de lecture

Dans un sol sec et dégradé, il serait tentant de croire que la vie s’est tue. Pourtant, sous la surface, une autre histoire se déploie — celle d’un échange permanent entre les racines des plantes et les communautés microbiennes qui les entourent. Une dynamique silencieuse mais décisive, qui façonne à la fois la fertilité des sols et la résilience des cultures. Une étude récemment publiée dans Science, l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses au monde, et coécrite par des chercheurs de l’Université américaine de Sharjah (AUS), explore cette interaction et propose un nouveau modèle d’agriculture durable, fondé sur l’écologie et des décennies de recherche.
Fruit d’un an de collaboration entre cinq scientifiques — le Dr John Klironomos, professeur de biologie, chimie et sciences de l’environnement et doyen associé à la recherche et à l’innovation à AUS, les professeurs Guangzhou Wang, Fusuo Zhang et Junling Zhang de l’Université agricole de Chine, ainsi que le professeur Wim van der Putten de l’Institut d’écologie des Pays-Bas et de l’Université de Wageningen — ce travail met en lumière le rôle déterminant des boucles de rétroaction plante-sol.
Ces boucles reposent sur un principe simple : les plantes modifient la composition microbienne du sol via leurs racines et les signaux chimiques qu’elles émettent, tandis que les microbes influencent en retour l’accès des plantes aux nutriments, à l’eau et leur résistance aux maladies. Selon la manière dont elles sont orientées, ces interactions peuvent fragiliser ou au contraire renforcer un système agricole.
Dans des régions comme les Émirats arabes unis, où l’agriculture se heurte à des sols salins, pauvres en matière organique et à une pénurie chronique d’eau douce, ce modèle offre des perspectives concrètes. À l’AUS, le Dr Klironomos et son équipe traduisent déjà ces concepts sur le terrain.
Des essais sont en cours avec des inoculants microbiens — des bactéries ou champignons bénéfiques ajoutés au sol pour stimuler la santé des plantes — ainsi que des biostimulants, des substances naturelles qui aident les végétaux à mieux pousser et à supporter des conditions extrêmes.
Des cultures désertiques telles que le blé ou le palmier-dattier sont testées afin d’évaluer leur performance dans ces environnements hostiles, lorsqu’elles sont accompagnées des bons partenaires microbiens.

"Les plantes et les microbes se sont toujours influencés mutuellement", explique le Dr Klironomos. "La clé, c’est de gérer ces interactions de manière intentionnelle, en particulier là où chaque avantage biologique compte. Ce travail nous invite à passer d’une logique de rendement immédiat à une vision à long terme du fonctionnement des sols."
L’article revisite également des pratiques agricoles traditionnelles telles que la rotation des cultures, les cultures associées ou le travail minimal du sol. Loin d’être de simples techniques du passé, ces méthodes se révèlent être, à la lumière des connaissances écologiques actuelles, de puissants leviers pour régénérer la vie microbienne des sols, restaurer leur fertilité, réduire la dépendance aux intrants et stabiliser les rendements sur le long terme.
"La vie microbienne est l’un des outils les plus sous-estimés de l’agriculture", rappelle le professeur Junling Zhang. "En soutenant les processus vivants du sol, on crée des systèmes plus durables, plus adaptatifs, et mieux alignés sur le fonctionnement naturel des écosystèmes."
Parallèlement à cette approche écologique, la recherche s’ouvre aussi à de nouvelles pistes en biologie végétale. En identifiant les gènes et signaux moléculaires impliqués dans le dialogue entre racines et microbes, les scientifiques commencent à explorer des stratégies de sélection variétale capables de favoriser des cultures qui interagissent plus efficacement avec leur microbiome — un pont prometteur entre biologie moléculaire et agronomie.

Pour ancrer et amplifier ces travaux à l’échelle locale, l’AUS a lancé avec ses partenaires régionaux le Sharjah Sustainable Agriculture Research Group. Ce groupe réunit plusieurs professeurs de l’AUS — dont Dr Klironomos, Dr Mohamed Abouleish (sciences de l’environnement) et Dr Tarig Ali (génie civil) — ainsi que Dr Ali El-Keblawy de l’Université de Sharjah. Ensemble, ils conjuguent leurs expertises en écologie des sols, analyse spatiale, sciences de la durabilité, conservation des plantes indigènes et biotechnologie, pour restaurer la fonction biologique des sols arides.
Derrière ces recherches se dessine un changement de paradigme : le sol n’est pas un simple support inerte — il est vivant. Il respire, il évolue et il réagit à nos pratiques agricoles. En le considérant comme un écosystème dynamique, les scientifiques estiment que l’agriculture peut s’orienter vers des solutions qui favorisent à la fois la production alimentaire, la résilience climatique, la biodiversité et une gestion durable des terres.
Caroline Haïat




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