Le cinéma israélien : entre identité, conflit et reconnaissance internationale
- Caroline Haïat
- il y a 2 jours
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Le cinéma israélien, longtemps marginalisé sur la scène internationale, s'est imposé au cours des dernières décennies comme une voix singulière et puissante, à la croisée de l’intime et du politique. Il témoigne d’une société en constante évolution, tiraillée entre la quête identitaire, les conflits géopolitiques et une reconnaissance artistique mondiale croissante. Ce cinéma, profondément enraciné dans la réalité israélienne, interroge autant les tensions internes que les enjeux globaux, devenant une fenêtre essentielle pour comprendre la complexité d’Israël.
Israël, fondé en 1948, est marqué par une diversité ethnique, religieuse, linguistique et culturelle qui se reflète dans son cinéma. Dès ses débuts, le septième art israélien a été utilisé comme un outil de construction nationale, valorisant le sabra (le pionnier juif natif d’Israël), la terre, et l’idéologie sioniste. Cependant, à partir des années 1970, le cinéma israélien a commencé à se détacher du récit national dominant pour explorer des voix alternatives. Les réalisateurs ont porté un regard plus critique sur la société israélienne, mettant en lumière les fractures ethniques (entre juifs ashkénazes et séfarades), sociales (entre classes favorisées et populations marginalisées), et religieuses (entre laïcs et ultraorthodoxes). Des cinéastes comme Ronit Elkabetz, Dover Koshashvili ou Eran Riklis ont contribué à dévoiler les complexités de l'identité israélienne, notamment à travers des personnages issus de la périphérie sociale ou ethnique, comme les juifs marocains ou les femmes dans des sociétés patriarcales.

Le grand acteur du cinéma israélien : le conflit israélo-palestinien. Ce dernier imprègne nombre de productions, parfois de manière frontale, parfois en filigrane. Il façonne les récits, influence la psychologie des personnages et oriente les dilemmes moraux que traversent les protagonistes. Des œuvres comme Beaufort (2007) de Joseph Cedar, Valse avec Bachir (2008) d’Ari Folman ou Foxtrot (2017) de Samuel Maoz s’inscrivent dans cette veine. Ces films abordent les traumatismes de la guerre, la mémoire collective, la critique de l’armée ou encore la culpabilité individuelle face aux ordres reçus. L'originalité du traitement du conflit réside dans la capacité du cinéma israélien à proposer un regard introspectif, souvent autocritique, loin de toute propagande. Il tend à humaniser toutes les parties concernées, y compris les Palestiniens, comme dans The Bubble (2006) d’Eytan Fox ou Ajami (2009), co-réalisé par un juif et un arabe israéliens, qui dépeint la coexistence difficile dans un quartier mixte de Jaffa.
Le cinéma israélien a connu une diversification notable dans les années 2000, en intégrant davantage les récits des minorités : Arabes israéliens, Éthiopiens, migrants africains, LGBTQ+, ultraorthodoxes… Ces voix, longtemps marginalisées, trouvent aujourd’hui un espace d’expression cinématographique de choix. Des films comme Les Méduses (2007) d’Etgar Keret et Shira Geffen, ou Les Citronniers (2008) d’Eran Riklis, illustrent cette ouverture à des récits plus universels, tout en conservant une forte identité locale. Les cinéastes queer comme Eytan Fox ont aussi participé à cette évolution, en proposant des films centrés sur des thématiques LGBT dans un pays où la religion reste très présente. De même, le cinéma ultraorthodoxe, bien que souvent produit en marge de l'industrie dominante, connaît une croissance significative. Il permet une immersion dans un monde fermé, généralement absent des écrans, tout en interrogeant les tensions entre tradition et modernité.

Depuis les années 2000, le cinéma israélien est salué dans les plus grands festivals internationaux. Plusieurs films ont été sélectionnés aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger (Beaufort, Valse avec Bachir, Ajami, Footnote, Foxtrot). Valse avec Bachir, en particulier, a marqué les esprits par son style audacieux – un documentaire d’animation sur la guerre du Liban – et sa charge émotionnelle. Cependant, cette reconnaissance s’accompagne parfois de controverses. Certains accusent le cinéma israélien d’être utilisé comme outil de hasbara (propagande culturelle), tandis que d’autres lui reprochent au contraire de "salir l’image d’Israël" en exposant ses failles. Cette double critique illustre la position inconfortable, mais aussi courageuse, qu’occupe le cinéma israélien sur la scène internationale.
Le cinéma israélien, en moins d’un demi-siècle, a su passer d’un outil nationaliste à un espace d’introspection, de contestation et de créativité. Porté par une génération de cinéastes audacieux, il interroge la notion même d'identité dans un pays en perpétuel questionnement. Par sa richesse narrative et sa capacité à mettre en scène l’humain dans toute sa fragilité, il a conquis une place singulière sur la scène mondiale, devenant un vecteur essentiel de compréhension d’un État aussi fascinant que controversé.
Caroline Haïat