L’interview débute mais Daniel Saadon ne peut s’empêcher de fredonner des airs en arabe, avant de se reprendre, "tu vois, j’ai vraiment cela dans le sang", dit-il. Daniel Saadon est un chanteur, vocaliste et interprète israélien au style unique qui puise son inspiration dans une variété de genres musicaux et crée de véritables tubes remixés qui mêlent les mélodies orientales, la langue hébraïque, la langue arabe et les grands classiques israéliens.
D’origine tunisienne, Daniel Saadon a été plongé dès son enfance dans la musique orientale. A la maison, il écoutait notamment Moshe Habusha, dont le style musical est influencé par les sonorités arabes. "Selon moi, Moshe représente non seulement une icône mais aussi surtout les fondements de la musique judéo-arabe. A l’époque, mes parents n’aimaient pas que j’écoute ce genre de musique, ils me disaient que ce n'était pas bien. Mais mon coup de foudre pour la musique arabe a eu lieu lorsque j’étais en CM2; l’élève assis à côté de moi écoutait Georges Wassouf, un artiste très connu au Liban et en Syrie. Je ne connaissais rien à la musique arabe mais ce jour-là, j’en suis tombé profondément amoureux", se souvient Daniel, qui entonne quelques paroles en arabe.
Une fois rentré de l’école, Daniel se connecte à Internet et télécharge plus de 1000 extraits musicaux originaires d'Orient, jusque tard dans la nuit. Depuis, son amour pour la musique orientale n’a cessé de croître. "Je me suis mis à écouter des sons du Koweït, d’Egypte, de Bahreïn et des Emirats pendant les récréations à l’école dans mon MP3 alors que les autres jouaient au foot", raconte Daniel.
Quitter Tsahal pour la musique
En grandissant, Daniel rêve de devenir chanteur mais ses parents s’y opposent, affirmant que le monde de la culture ne permet pas de gagner sa vie correctement et l’exhortent à choisir un métier stable. "Je me suis enrôlé dans l’armée dans une unité d’ingénieur, comme le reste de ma famille, mais c’était dur pour moi car je m’ennuyais profondément, mon esprit était ailleurs constamment", dit-il.
Un an après, Daniel quitte les rangs de Tsahal et décide de réaliser son rêve coûte que coûte : vivre de la musique. Il commence par frapper aux portes des studios d’enregistrement et visite plusieurs salles de concert, puis entame une licence à l’Ecole de musique de Kiryat Ono, où il apprend la Pop, le Jazz et le Rock et se perfectionne en musique judéo-arabe.
L’un de ses premiers succès est une reprise de l’hymne national israélien l'"Hatikva", sortie en 2018 qu’il modernise en y ajoutant sa touche orientale. "A Yom Atsmaout, j’ai eu l’idée de créer une chanson qui serait à la fois sioniste, et de style arabe. Je me suis rendu avec ce titre dans plusieurs studios d'enregistrement qui m’ont refusé car c’était trop extrême pour eux", relate Daniel en chantonnant les paroles de son morceau. "Puis, un studio a accepté ma chanson, et ce mélange qui semblait surprenant au début, m’a finalement ouvert énormément de portes", déclare-t-il avec fierté.
Propulsé dans la "cour des grands"
Rapidement, le jeune homme parvient à se faire une place de choix parmi les artistes israéliens reconnus et augmente sa visibilité. L'"Hatikva" fait plus de 5 millions de vues sur les réseaux, "cela m'a amené sur le devant de la scène musicale israélienne, et ça m'a permis de passer du statut d’amateur à celui de professionnel", assure-t-il.
Il monte ensuite sa boîte de production d'événements et collabore avec des musiciens venus des quatre coins du pays tout en cherchant perpétuellement "la voie qui lui correspond le plus". Daniel apprécie tant les musiques calmes qui apaisent l'âme, que les musiques rythmées et il aime par-dessus associer le côté ancien des airs tunisiens à la musique pop arabe d’aujourd’hui.
L’impact de ses origines tunisiennes
Les origines tunisiennes de Daniel sont très présentes dans sa musique et représentent "sa marque de fabrique", fan inconditionnel de Yossi Barda, Raoul Journo ou encore Youval Taieb, il s’inspire sans arrêt de ces figures iconiques qui ont marqué son enfance. "Un an avant ma Bar Mitzva, j’étais en voiture avec mon père quand nous avons entendu une musique tunisienne à la radio, il s’est mis à pleurer et c’est à ce moment-là que j’ai compris l’impact de cette musique sur notre communauté, elle va droit au coeur", affirme Daniel.
Aujourd’hui, Daniel se produit dans les Hennés aux côtés de chanteurs marocains, dans les mariages et les Bar Mitzva. "Je reçois énormément de compliments du public, car la plupart des Juifs du Maghreb sont très connectés à la musique arabe et sont enchantés par les mélanges que je propose. Dans ma musique, il n’y a ni provocation, ni visée politique. Je veux simplement faire passer le message suivant : il faut sourire à la vie, quelles que soient les épreuves que l’on traverse, la musique aide à se sentir bien, c’est un véritable remède", affirme Daniel.
La chanson la plus significative de la carrière de Daniel est "Likoutei slihot", sortie en 2021. Le titre a été réalisé pendant la pandémie entre les différents confinements qui ont compliqué la tâche pour le jeune Daniel, "nous avons enregistré le son en une nuit et nous avons aussi filmé le clip. Tout le monde s’est porté volontaire et on a composé ce tube presque gratuitement. Les plus belles choses qui me sont arrivées sont souvent les plus simples", raconte Daniel.
Un succès en dehors des frontières d’Israël
Avec le 7 octobre, beaucoup d’événements et de concerts ont été annulés, mais cette période sombre a également amené de beaux succès à Daniel. Une semaine après le début de la guerre, le jeune homme, profondément déprimé, est persuadé qu'Israël va disparaître. Pour faire face à sa peine, il se réfugie dans la musique. "Je suis monté sur le toit de mon immeuble et j’ai commencé à composer une mélodie intitulée 'Kovchim et Aza' (occuper Gaza) que j’ai postée sur Instagram. Immédiatement après, j’ai été contacté par des producteurs qui m’ont dit 'Daniel tu es obligé d’enregistrer ce son'', explique-t-il, très ému.
Rapidement, cette chanson qui fait référence à Tsahal à Gaza, récolte près de 5000 vues sur YouTube. C’est un son entraînant qui donne de la force et du courage à un peuple qui se bat pour sa terre. "Nous avons enregistré le tube en trois jours, et deux semaines après, tous les soldats d'Israël chantaient ce titre. Plusieurs chanteurs ont même repris la chanson dans leurs concerts, elle m’a apporté beaucoup en très peu de temps. J'ai été très surpris de voir qu'elle avait fait le tour du monde, en France, à Los Angeles, à Miami, à New York et à Londres, ce chant m’a porté vers les sommets", affirme le jeune homme.
Depuis près d'un an, Daniel donne des concerts dans les différentes bases d’Israël, "cela donne du baume au cœur aux soldats et je suis fier d'avoir pu apporter du positif à la société en période de guerre", a conclu Daniel.
Caroline Haïat
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