Fractures, espoirs et résonances : 14 artistes face à la réalité israélienne
- Caroline Haïat

- 14 sept.
- 5 min de lecture

L'exposition collective et éclectique "Le Troisième Espace", organisée par Shlomit Oren et Lilach Shmul, a été inaugurée le 4 septembre dernier à Tel Aviv. Il s'agit d'une initiative de "Bifnocho" – créé par le Reality Group dans l'ancien bâtiment du porte-parole de Tsahal, 9 rue Itamar Ben Avi. À travers les œuvres de 14 artistes, l'exposition met en lumière des problématiques au cœur des conflits et des blessures vives de la société israélienne : les déplacements de populations dues à la guerre, les effets du réchauffement climatique, le rôle des médias à l'ère numérique, la violence et les conséquences dévastatrices de la tragédie du 7 octobre…
"C'est la 5e exposition organisée à Bifnocho. Elle est née dans l’idée de proposer une perspective positive alors que nous vivons le chaos de la guerre depuis presque deux ans. L'Israël de 2025 se situe à la croisée de nombreux crises – politiques, culturelles, sociales et émotionnelles. C'est précisément à ce moment qu'apparaît le besoin d'un espace qui intègre la complexité sans la simplifier, et qui laisse place aux voix contradictoires sans les réduire au silence. Bifnocho est propice aux rencontres culturelles. L'art a cette capacité unique de soulever des questions pointues et d'ouvrir des lieux de discussion, sans aplanir les lignes. Il s'impose entre les identités, les positions et les époques", explique Sahar Bar-Nissan, Manager de l’espace Bifnocho.
"Les œuvres que nous avons reçues après un appel à témoins ont encouragé le fait que l’art est un outil pour repenser le présent et donner des clés pour mieux appréhender la réalité. Ici, peintures, vidéos et photos abordent des thèmes très variés. Les œuvres sont singulières mais s’inscrivent aussi à la perfection au sein d’un travail collectif", assure-t-elle.
L’artiste de renom Efrat Yaron soulève la question de la collision entre le comportement humain et la crise environnementale à travers l’installation vidéo "Rebuild", qui montre une ville bombardée, emportée par une vague terrifiante, réapparaissant et se répétant à l'infini. Hadas Brier quant à elle présente une plante qui jaillit et fleurit d'un vieux tapis usé, symbole de l'interrelation entre l'homme et la nature.
La violence domestique imagée
Dans un tout autre contexte, Moran Asraf, artiste multidisciplinaire, a réalisé une performance vidéo étonnante intitulée "Couleur rouge", qui traite des violences faites aux femmes inspirée de son histoire familiale. On aperçoit Moran portant la robe de sa mère, elle aussi victime de violences domestiques, en râpant de la betterave dont la couleur rouge rappelle le sang. Un travail "féminin" et sisyphéen qui transporte le spectateur sur les lieux de l'avortement, des menstruations et des violences conjugales, dans leur espace domestique, qui, au lieu d'être protecteur, est en réalité le plus dangereux.
Moran Asraf, qui a débuté sa carrière d'artiste à 31 ans sans expérience préalable, utilise son corps comme outil central dans ses œuvres. Son objectif est de dénoncer les pratiques d'oppression des femmes, tout en critiquant les rôles clairement définis qui leur ont été assignés au fil de l'histoire. Les matériaux et les images qu'elle utilise sont tirés de ses souvenirs d'enfance à Dimona, de la culture mizrahi et inspirés par la figure de sa mère.

Selon elle, "la violence contre les femmes est une épidémie", un problème culturel et genré qui n'est jamais suffisamment abordé : une hémorragie constante qui nous accompagne tout au long de la vie.
Toujours dans le thème de la violence, l’artiste Nir Adoni a créé des grenades assainissantes, peintes de couleurs joyeuses qui laissent présager un avenir meilleur, sans guerre ni violence criminelle.
Un hommage aux cerfs-volants de la paix
La guerre actuelle et les conséquences dévastatrices du 7 octobre ont une place de choix dans l’exposition. L'artiste Tal Goldman, originaire du kibboutz Yotvata, a peint des cerfs-volants, en hommage aux festivals de cerfs-volants pour la paix initiés par le regretté Aviv Kutz, en réponse au terrorisme des ballons incendiaires lancés par le Hamas sur les localités du pourtour de Gaza.
L'œuvre de Goldman n'est pas une peinture de guerre, mais une peinture d'espoir : le kibboutz est présenté comme une force créatrice de réalité, les personnages sont vêtus de bleu et de blanc, et le cerf-volant est évoqué dans l'œuvre à travers les postures et la composition des protagonistes. Tal s'inspire de la culture des epiphoniada (festival de cerfs-volants), une tradition apparue dès les années 1930, également influencée par des traditions extérieures à Israël, et examine le lien entre tradition, création et réalité changeante. L'œuvre de Tal examine les effets : tandis que certains kibboutzim ont comblé des lacunes et des faiblesses, d'autres ont trouvé force et unité renouvelée.

Dans un tout autre genre, Marganit Erez sculpte des figures dans le sable, où l’on peut imaginer des personnes kidnappées dans les tunnels et des gens tendre la main pour demander de l'aide.
"Les œuvres de l'exposition s'articulent autour d'une même proposition : écouter. À travers l'art. Les œuvres oscillent entre l'intime et le collectif, et créent ensemble un "troisième espace – ni domicile ni travail, mais un espace intermédiaire propice à la réflexion, à la pensée critique et à la compassion humaine. Inspiré par le concept de "Troisième Espace" du penseur Homi Bhabha, ce lieu n'appartient à aucun camp, mais naît de leur rencontre. Ici, au cœur de la fracture, l'art cherche à offrir l'écoute. Non pas une solution, mais un fil conducteur", affirme Sahar.
Tal Nahum, petite-fille du secrétaire de David Ben Gourion, artiste photographe et vidéaste, présentera son nouveau projet "Spirit of Jars" : une série d'œuvres photographiques et de traitements de jarres brisées qu'elle a collectées à Sderot et dans ses environs après le 7 octobre. Le choix des jarres – récipients ayant transporté de l'eau, de l'huile et des histoires – les transforme en symboles reliant les époques et les lieux et invite le spectateur à aborder la fracture et la question de la réparation et de la plénitude.
"Cette expo a été pensée pour faire réagir et réfléchir le public sur la situation actuelle, mais aussi donner l'espoir, en proposant des pistes de réflexion et de dialogue autour de ces thèmes qui nous parlent à tous. On espère que les visiteurs sortiront de Binofcho grandis, avec des questions, des pensées, et un peu différents de la façon dont ils sont rentrés. Notre pari sera gagné si leur monde intérieur a été quelque peu bouleversé par ce qu’ils ont vu", a conclu Sahar.
L'exposition est à voir jusqu'au 23 octobre. Le 29 septembre, une visite guidée sera organisée en présence des artistes.
Horaires d’ouverture et événements :
Lundi 15 septembre de 17h00 à 19h00
Le 29 septembre : vernissage et conférence, 19h30 à 21h30
Le 8 octobre de 10h00 à 12h00
Le 23 octobre, fermeture de l'exposition
Caroline Haïat




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