Israël, laboratoire mondial de la longévité
- Caroline Haïat 
- il y a 13 heures
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Tel Aviv, Herzliya, Rehovot. Dans ces villes ensoleillées bordées de cafés et de laboratoires high-tech, une révolution silencieuse est en marche : celle de la longévité. Ici, il ne s’agit pas d’immortalité fantasmée comme dans la Silicon Valley, mais d’une science israélienne du "bien vieillir", ancrée à la fois dans la biologie, la génétique et une quête presque spirituelle de sens.
À l’Institut Weizmann, des chercheurs cartographient les génomes de familles juives d’Europe et du Moyen-Orient ayant dépassé les cent ans. Leur objectif est d’identifier les mutations protectrices qui ralentissent le vieillissement cellulaire.
"Nous avons découvert chez certains centenaires ashkénazes des variantes génétiques qui freinent la dégradation des télomères", explique le professeur Valery Krizhanovsky, figure du Weizmann Institute. "Israël est un terrain d’étude unique : une petite population, mais d’une diversité génétique exceptionnelle."
Au Technion comme à l’Université de Tel Aviv, d’autres équipes s’intéressent aux mécanismes de la sénescence cellulaire. L’ambition n’est plus seulement de soigner les maladies liées à l’âge, comme le diabète ou Alzheimer, mais de ralentir le vieillissement lui-même, en ciblant les cellules fatiguées du corps avant qu’elles ne dégénèrent.
Autour de cette recherche fondamentale, une génération de start-up israéliennes attire les capitaux du monde entier. Biomica, issue d’Evogene, explore le rôle du microbiote intestinal dans la régulation de l’immunité et du vieillissement tandis que Renew Medical, fondée par une biologiste formée au MIT, travaille sur la réjuvénation des tissus cutanés et neuronaux.
"Israël, c’est la Californie de la biologie du futur", confie un investisseur de Herzliya Ventures. "Les cerveaux viennent du monde entier, et l’audace scientifique se combine ici à un pragmatisme unique."
Mais cette quête du temps prolongé soulève aussi des débats éthiques. "Qui vivra plus longtemps, et à quel prix ?" interroge Yuval Noah Harari, auteur de Homo Deus et penseur israélien souvent invité à réfléchir aux limites du transhumanisme. Pour lui, Israël, pays jeune mais obsédé par la mémoire et la survie, entretient une relation paradoxale au temps : "Nous cherchons à défier la mort, mais aussi à donner du sens à une existence marquée par la fragilité."
Certains rabbins modernes, comme Rav Yuval Cherlow, participent à ces discussions et s’interrogent : jusqu’où la Torah autorise-t-elle la manipulation du vivant ? Et que devient la valeur spirituelle du vieillissement dans un monde qui rêve d’éternelle jeunesse ?

En parallèle, l’économie de la longévité s’impose comme un pilier stratégique. En 2025, le secteur israélien de la "longevity tech" représente déjà plus de deux milliards de dollars d’investissements cumulés. Des fonds étrangers, notamment japonais et coréens, misent sur la médecine préventive personnalisée, un domaine où Israël excelle grâce à ses données médicales intégrées. Chaque citoyen, via sa kupat holim (caisse de santé), dispose d’un historique génétique et biologique complet depuis des décennies, formant une base de données unique au monde.
"Nous avons la population la plus numérisée au monde sur le plan médical", souligne le Dr Eytan Ruppin, expert en bioinformatique. "Cela fait d’Israël un terrain idéal pour expérimenter la médecine du futur."
Au-delà des laboratoires, l’enjeu est aussi sociétal. En 2050, près d’un Israélien sur quatre aura plus de soixante-cinq ans. Le vieillissement devient donc une question nationale autant qu’une opportunité économique. Le gouvernement envisage déjà la création d’un "Longevity Hub" à Beer Sheva, sur le modèle de la Silicon Wadi, pour concentrer les recherches sur la santé du futur, la nutrition et la régénération cellulaire.
"Ce que nous faisons ici, c’est prolonger la vie, mais aussi repenser ce que cela veut dire vivre longtemps", résume le Dr Nir Barzilai, chercheur israélien installé à New York et figure mondiale du domaine. "Le but n’est pas d’ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années."
Israël, pays en tension permanente entre urgence et éternité, devient paradoxalement le laboratoire du ralentissement. Dans ce territoire où chaque génération a connu la guerre, les chercheurs veulent désormais offrir à la suivante un luxe inédit : celui du temps. Et peut-être, entre deux expériences en laboratoire, réconcilier enfin science et sagesse.
Caroline Haïat





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