Lia Bruce, l’artiste qui sculpte le sel de la mer Morte
- Caroline Haïat
- il y a 1 jour
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En cuisine, dans la mer et même dans notre propre corps, le sel fait partie intégrante de nos vies et constitue un élément vital pour l’Homme. "Le sel m’a toujours fascinée" lance Lia Bruce, artiste israélienne qui crée depuis une dizaine d’années des objets décoratifs à partir du sel de la mer Morte. Sa passion pour le sel a été une vraie révélation et s’est vite imposée comme une évidence avant de devenir sa marque de fabrique. Après des études d’architecture au Technion de Haïfa, une licence en beaux-arts, un master en design industriel à l’Académie Bezalel de Jérusalem et une première exposition, Lia a choisi de combiner ses compétences d’ingénieur et son talent artistique. De cette rencontre est né SaltwareDesign, un atelier installé au cÅ“ur de son jardin où chaque pièce est conçue à la main. Son objectif : mettre en lumière le potentiel inexploité du sel. Portrait d’une créatrice pas comme les autres.Â
"Chaque artiste a sa signature, pour ma part, il s’est avéré rapidement qu’il s’agissait du sel. C’est ce qui me parle le plus. Je me souviens que ma grand-mère me mettait des petits sacs de sel dans mon cartable, en tant qu’enfant je n’y avais pas tellement prêté attention mais c’est bien plus tard que je me suis reconnectée avec le sel : mon matériau de prédilection", raconte Lia.
Inspirée par sa grand-mère, qui fabriquait des amulettes traditionnelles en cousant du sel dans de petits sacs en coton, elle commence à créer des installations en sel alors qu’elle était encore étudiante en art. Lia utilisait des composants bruts avec l’aspiration constante à leur donner une forme concrète et spirituelle.

"Dans chaque culture, le sel est le symbole de la bénédiction et de la chance; quand j'ai commencé à étudier ses caractéristiques, je me suis également intéressée à sa signification. Je viens d’une famille juive sépharade, et pour nous, le sel est un porte-bonheur, on l’utilise notamment contre le mauvais œil. Mais c’est aussi le cas dans d’autres civilisations. Au Japon, par exemple, ils mettent du sel devant les restaurants ou les maisons pour apporter la bonne augure et chasser les mauvais esprits. En Inde, les nouveaux époux reçoivent des sacs de sel comme premier cadeau de noces pour la maison", explique Lia.
Si le sel est une matière résistante selon Lia, elle s’effrite et s’avère très fragile. La plus grande difficulté avec le sel, c’est qu’il se dissout au contact de l’eau ou s’il est exposé à un taux d’humidité élevé, comme c’est le cas en Israël. Véritable battante dans l’âme, Lia a cherché à relever tous les défis liés au sel afin de le rendre malléable pour réaliser ses créations.
Quand la science rencontre le design
Lors de son master à Betzalel en 2015, l’attrait de Lia pour le sel se concrétise. Elle fait alors une rencontre marquante qui va changer sa carrière du tout au tout : le professeur Daniel Mandler, de l’Institut de chimie de l’Université hébraïque de Jérusalem, fait partie des enseignants de son cursus. Lia a ainsi l’immense chance d’associer les défis scientifiques et technologiques liés au sel, à son importance culturelle et spirituelle. Le Pr Mandler est une personnalité emblématique dans le domaine, il a en effet mis au point une technologie durable permettant de transformer le sel résiduel de la mer Morte en un matériau tridimensionnel robuste, écologique, résistant à la pression et à l’humidité à hauteur de 80%.

Pour son projet de fin d’études, Lia a ainsi élaboré des carreaux décoratifs en collaboration avec l’Institut de chimie de l’Université hébraïque, découvrant alors que le sel pouvait être jusqu’à dix fois plus résistant que le béton.
"J’ai fait plusieurs essais et beaucoup tâtonné avant de consolider ma technique, puis je me suis spécialisée en sel de la mer Morte. Le sel dans la culture juive symbolise l’alliance entre dieu et le peuple juif, c’est notamment ce que nous rappelons chaque shabbat lors du kiddouche en trempant la halah dans le sel. Dans le christianisme, Jésus dit à son peuple : vous êtes le sel de la terre, soit la chose la plus chère au monde", affirme Lia.Â
Dans l’Antiquité, le sel était une monnaie d’échange précieuse, au cœur de guerres jusqu’au XVIe siècle. C’est précisément cette valeur que Lia tente de recréer dans son univers : redonner au sel sa préciosité.
Un business florissant à partir du sel
En pleine pandémie de coronavirus en 2021, Lia a relevé le pari fou de monter son propre business SaltwareDesign. La toute première pièce : une salière, minimaliste et moderne. Très vite, la production s’oriente vers des objets liés au judaïsme : chandeliers, menorahs de Hanoukka, bougeoirs de chabbat, verres de kiddouch ou encore hamsas. Une fierté pour Lia qui a toujours rêvé de partager son don pour l’art. Elle précise que ses objets sont avant tout décoratifs et qu’il ne faut surtout pas les mettre au lave-vaisselle!
Son atelier voit le jour dans un ancien wagon à bestiaux qu’elle a rénové avec son mari, dans la vallée d’Hefer, près de Netanya au centre d’Israël. De la préparation du sel aux photos et textes de son site, Lia fait tout elle-même avec une énergie et une positivité déroutantes.
Une machine spéciale lui permet de comprimer et façonner le sel en objets. Le processus est artisanal : Lia réduit le sel en poudre, en conserve une partie granulaire, ajoute des pigments naturels, moule la forme, puis rince et laisse sécher. Chaque pièce est unique, faite entièrement à la main, avec une compression à haute pression qui limite volontairement la production.
"Je reçois des réactions très positives, les gens sont émerveillés par le concept", affirme Lia. Ses créations font le tour du monde, et se vendent en nombre, notamment aux Etat-Unis auprès de la clientèle juive.

Le sel, un matériau d’avenir qui pourrait faire de l’ombre au béton
Aujourd’hui, Lia Bruce explore la possibilité de créer des tuiles de sel écologiques, avec l’ambition de réduire progressivement l’utilisation du plastique et du béton pour la construction des habitations. "Tout comme il existe des maisons en terre en Afrique ou des igloos en Scandinavie, il n’y a aucune raison de ne pas imaginer des maisons en sel, durables et solides", affirme-t-elle.
Dans un avenir proche, Lia souhaite insérer de nouveaux produits et objets à sa collection, comme des portes serviettes avec une bénédiction gravée ou encore de la décoration murale. Un projet ambitieux qui se heurte pour l’heure uniquement aux coûts élevés de la technologie. Du symbole ancestral à l’innovation futuriste, Lia Bruce redonne au sel toute sa valeur : un matériau de mémoire et d’avenir.
Pour consulter son Instagram : https://www.instagram.com/saltwaredesign/
Site de Lia Bruce : https://saltwaredesign.com/?srsltid=AfmBOooceKV_xjW7enknVe2LO9_7kXjQCI8mLbaMuI6FGfBkgxG-Xunl
Caroline Haïat