L’autre visage d’Israël : femmes, luttes et dignité
- Caroline Haïat

- 12 juil.
- 3 min de lecture

Dès les premières minutes, le spectateur plonge dans un univers différent, gouverné par les femmes arabes. Souvent relayées au second plan, elles occupent ici une place centrale. Le ton est lancé : les femmes sont sur le devant de la scène, pour être entendues. Dans A Place of Her Own, les réalisateurs israéliens Adi Toledano et Dana Pney-Gil livrent un documentaire d’une rare intensité émotionnelle, qui explore avec justesse et pudeur le quotidien de femmes arabes israéliennes décidées à s’emparer de leur destin.
Situé dans le village de Jisr az-Zarqa, près de Césarée, le film suit Amina, Munira et Rawia, trois femmes aux parcours opposés mais unies par un objectif commun : créer un centre dédié aux femmes. Alors qu'un nouveau quartier huppé se construit sur les terres du village en bord de mer, menaçant son caractère, et que la violence locale bouleverse leur quotidien, ces femmes affrontent ensemble l'oppression, tant interne qu'externe, dans l'espoir de changer leur quotidien. De ce cercle intime émerge une force tranquille et un destin féminin commun, qui se construit en contraste avec le monde extérieur.
Ce film ne surgit pas ex nihilo. Il est né d’une démarche profondément respectueuse et engagée. La réalisatrice Dana Pney-Gil a étudié l’arabe et, bien avant le tournage, a effectué une immersion totale de deux semaines à Jisr az-Zarqa. Au fil de ses rencontres, elle a noué des liens avec des femmes "merveilleuses", selon ses mots, des femmes aux trajectoires complexes, souvent invisibles, mais empreintes de dignité et de résilience. Cette expérience humaine l’a profondément marquée. C’est pendant la pandémie de Covid, alors que le monde était à l’arrêt, qu’elle a commencé à façonner le projet de ce documentaire, dans un élan de mémoire, de transmission et de reconnaissance.
La caméra s’installe au plus près des corps et des regards; dès les premiers instants, la simplicité de la vie quotidienne domine. Rien n’est spectaculaire, et c’est justement ce qui interpelle. La beauté du film réside dans sa capacité à faire émerger l’universel à partir du local, à révéler les enjeux sociaux et politiques d’un simple salon transformé en espace de parole.

Ce qui frappe, c’est la sincérité des témoignages. Amina parle de son divorce et du rejet, Munira évoque sa quête d’indépendance, tandis que Rawia s’impose comme une figure montante, charismatique et lucide. À travers ces fortes personnalités, c’est toute une communauté de femmes qui prend voix et corps. Le film donne à voir la complexité de leur lutte, mais aussi la puissance de leur détermination.
A Place of Her Own parvient à transformer la douleur en élan, la fatigue en volonté, et les barrières en défis collectifs. Cette énergie se manifeste dans les discussions autour de la construction du centre, dans les tensions avec les voisins juifs aisés du quartier mitoyen, mais surtout dans les gestes de solidarité qui tissent une toile humaine forte.
Ce documentaire s’impose aussi comme une œuvre avant-gardiste sur la société arabo-israélienne. Là où les représentations sont souvent enfermées dans le prisme du conflit, de l’ethnicité ou de la marginalisation, les réalisateurs proposent un autre regard, plus subtil, plus quotidien, mais tout aussi politique. Ils mettent en lumière des femmes qui, sans renier leur culture, refusent de se laisser assigner un rôle passif. Ce sont des actrices du changement, conscientes des rapports de pouvoir qui les entourent, et prêtes à les défier.
En 65 minutes, A Place of Her Own réussit à faire naître une réflexion profonde sur la place des femmes dans les marges de la société israélienne, sur les effets concrets de la gentrification, mais aussi sur les dynamiques de résistance discrètes et puissantes.
Ce documentaire rappelle, en toute humilité, que même dans les endroits les plus reculés, des femmes bâtissent demain, pas seulement pour elles, mais pour toutes celles qui les succèderont.
Caroline Haïat




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