D’origine canadienne, Anson Laytner, établi à Seattle n’est pas un rabbin libéral ordinaire. Cet homme d’exception aux multiples casquettes a notamment fondé l’Institut sino-juif en Californie et a étudié en profondeur la communauté juive de Kaifeng en Chine. Auteur de nombreux écrits dont plus de soixante-dix articles sur la théologie juive, le conflit israélo-palestinien ou encore les Juifs chinois, M. Laytner a consacré sa vie à l’étude et aux causes qui lui sont chères. "J’ai cinq principaux centres d’intérêt : la théologie créative liée à la souffrance, l’aide à la communauté juive chinoise de Kaifeng, les droits des animaux et l’environnement, la promotion de la paix israélo-palestinienne et la promotion du type d’Israël envisagé dans sa Déclaration d’Indépendance", affirme-t-il fièrement. Portrait d’une personnalité hors du commun.
Aujourd’hui à la retraite, Anson a consacré sa carrière, entre autres, à l'établissement de relations interconfessionnelles et interethniques dans la région de Seattle. Féru d’écriture, il est l’auteur de trois ouvrages sur la question de la souffrance : Arguing with God: A Jewish Tradition ; The Mystery of Suffering and the Meaning of God; et Choosing Life After Tragedy, il a également coécrit avec Dan Bridge The Animals’ Lawsuit Against Humanity et coédité avec Jordan Paper The Chinese Jews of Kaifeng. Son premier roman, The Forgotten Commandment a été publié en 2023. Anson Laytner a également été directeur du programme de l’Initiative interreligieuse à l’École de théologie de Seattle et professeur adjoint au Département de théologie et d’études religieuses. Son attrait pour la religion l’a amené à travailler comme rédacteur de subventions pour le Jewish Family Service de Seattle, avant de devenir rabbin intérimaire à la Congrégation Kol HaNeshamah. Il a aussi dirigé le Conseil des relations communautaires de la Fédération juive de Seattle. Mais c’est un long séjour en Chine qui bouleverse sa carrière du tout au tout.
Un an en Chine, un tournant majeur et significatif
Attiré par la Garde rouge chinoise, Anson ne pense qu'à une chose : s’envoler pour la Chine, mais son projet a failli ne pas aboutir, en raison de la guerre de Kippour survenue en octobre 1973. Dans un premier temps, il a voulu se porter volontaire en Israël, mais le rabbin de sa synagogue lui a dit : "n’importe qui peut aller en Israël pour cueillir des oranges, mais combien de Juifs peuvent aller en Chine ?"
"Le rabbin m’a mis en contact avec le Congrès juif mondial et on m’a donné pour mission de parler d’Israël et des Juifs et de faire un rapport sur les réponses que je recevrais. Mon école comptait environ 300 élèves, elle a depuis fermé (en 2015). De 1973 à 1974, j’ai donc participé au premier programme d’échange d’étudiants Canada-Chine et j’ai vécu à Pékin à la fin de la Révolution culturelle. Après un an sur place, j’ai été déçu par la nature autoritaire du gouvernement communiste et par la façon dont le peuple chinois était contraint de suivre la ligne du Parti en public", révèle Anson.
Pendant cette année en Chine, Anson a "interagi en tant que Juif avec de nombreux étudiants", se remémore-t-il avec émotion. "On a eu de grandes discussions en chinois sur Israël, le sionisme et le judaïsme avec des Yéménites, des Chinois, des Vietnamiens, des Pakistanais et des étudiants de divers pays africains. J’y ai d’ailleurs rencontré pour la première fois des Palestiniens. La plupart du monde ne sait presque rien des Juifs, du judaïsme, d’Israël ou du sionisme. La Shoah était également une énigme pour eux, elle n’avait aucun sens. Ce que je voyais comme les problèmes qu’Israël devait résoudre – les droits des Arabes israéliens, les colonies, les frontières – beaucoup d’étudiants l’ont qualifié de sionisme en action", déclare Anson.
Loin d’abandonner son rêve sioniste, il s’est rendu tout de suite après en Israël pour un an, de 1974 à 1975.
L’Institut sino-juif en Californie
En 1985, alors qu’Anson exerce sa fonction de rabbin, on lui demande de rejoindre un petit groupe d’activistes et d’universitaires juifs qui étudient la Chine, pour fonder l’Institut sino-juif de Palo Alto, en Californie; avec une double mission : étudier la communauté juive de Kaifeng et les anciennes communautés juives de la côte chinoise – Shanghai, Harbin, Tianjin. "En tant que bénévole, je préside l’Institut depuis 7 ans et je suis rédacteur en chef de son journal, Points East, depuis 38 ans", affirme Anson.
"L’une des premières tâches de l’Institut a été de déterminer s’il y avait encore des descendants juifs à Kaifeng et s’ils souhaitaient renouer avec leur héritage. La communauté était pratiquement isolée de tout contact extérieur depuis les années 1920. Nous avons aussi accordé des subventions à des chercheurs, des écrivains et des cinéastes de nombreux pays et nous avons contribué au financement de la publication d’une encyclopédie judaïque en langue chinoise et à la traduction de divers livres juifs en chinois", relate Anson.
Quelles relations entre Israël et la Chine?
Actuellement, Israël et la Chine entretiennent de solides liens économiques, mais leurs relations politiques sont tendues en raison de la guerre à Gaza. La Chine s’est toujours prononcée en faveur d’une solution à deux États, mais historiquement, elle a davantage soutenu le monde arabe.
"L’Institut n’a pas joué un rôle significatif dans les relations israélo-chinoises depuis que ces deux pays ont établi des relations diplomatiques. Avant cela, nous avons accordé des bourses à des universitaires et des responsables chinois pour qu’ils se rendent en Israël, à des universitaires israéliens pour qu’ils se rendent en Chine, et à des universités israéliennes et chinoises pour les aider à mettre en place des programmes d’études chinois et israéliens respectivement", révèle le rabbin Anson Laytner.
Les Juifs de Kaifeng
Durant de longues années, Anson Laytner a beaucoup étudié la communauté juive de Kaifeng, dans la province du Henan en Chine. Elle a survécu pendant plus de mille ans, surmontant les inondations majeures du fleuve Jaune (Huang He), les guerres, les rébellions et les révolutions, mais elle n’a jamais eu à faire face à l’antisémitisme. À son apogée, du XIIIe au XVIIIe siècle, la communauté de Kaifeng possédait une immense synagogue avec un mikvé, une boucherie casher, une école et plusieurs rouleaux de la Torah.
"Nous savons cela grâce aux missionnaires jésuites qui ont visité Kaifeng aux XVIIe et XVIIIe siècles et ont laissé des notes détaillées. Les hommes ont incorporé la culture et la pensée chinoises dans leur propre théologie et pratique du judaïsme, tout comme les Juifs l’ont fait partout dans le monde. Malheureusement, au fil des siècles, la communauté de Kaifeng s’est isolée et appauvrie. Leur dernier rabbin est décédé au début des années 1800 et la connaissance juive a décliné avec leur isolement. Ces dernières années, les Juifs de Kaifeng pratiquent le judaïsme en privé chez eux, en observant le Shabbat et les jours fériés. Pour les grandes fêtes, ils peuvent parfois se réunir de manière semi-secrète", affirme Anson.
Après l’ouverture de la Chine à l’Occident dans les années 1980, des universitaires et des militants juifs occidentaux, dont beaucoup ont formé l’Institut sino-juif, ont commencé à visiter Kaifeng et à éduquer les descendants juifs de la région sur leur héritage culturel juif.
Un renouveau a commencé sous la tutelle de l’Institut sino-juif et de l’organisation israélienne, Shavei Israel.
Le théâtre comme prochaine étape?
Récemment, Anson a adapté son livre Le procès des animaux contre l’humanité en un script pour pièce de théâtre. Ce livre est une version abrégée et adaptée d'"Iggeret Baalei Hayyim" (L’épître des animaux), écrit en 1316 par le rabbin Kalonymus.
"J’ai été impressionné par ce récit intelligent et attristé de constater que, mille ans après la première sortie de cette histoire, nous débattons toujours des droits des animaux et de la place de l’humanité dans le monde naturel. Grant Wilson, directeur exécutif de l’Earth Law Center, a été enchanté par mon livre et m’a contacté à ce sujet. L’Earth Law Center œuvre pour faire progresser les lois centrées sur la Terre et les mouvements communautaires qui respectent et protègent toute vie sur la planète", relate Anson. "Nous avons eu l’idée de transformer le conte en un scénario qui pourrait être présenté dans les écoles et les lieux de culte. L’Earth Law Center en a présenté une première version pendant la Climate Week à New York en septembre 2024 et de mon côté, je continue de le finaliser. J’espère qu’il sera repris, traduit et partagé dans le monde entier", a conclu le rabbin Anson.
Caroline Haïat
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