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Tel Aviv : "Monter d’un étage", 37 regards de femmes sur l’art et la vie

  • Photo du rédacteur: Caroline Haïat
    Caroline Haïat
  • 11 sept.
  • 7 min de lecture
Les artistes de "Monter d'un étage" dans le studio, @Ella Orgad
Les artistes de "Monter d'un étage" dans le studio, @Ella Orgad

37 femmes, 37 univers dévoilés dans une seule exposition fascinante, qui ne peut laisser personne indifférent. Revital Ben-Asher Peretz, conseillère du maire de Tel Aviv en matière d’art signe "Monter d’un étage", présentée à la Maison des artistes. Cet événement culturel, qui sera inauguré le 15 septembre prochain à 20h, au 9 rue Alharizi, réunit des artistes de divers horizons; il est le fruit de deux ans de travail acharné au studio de Revital, ouvert en 2008. Cet espace bienveillant propose un accompagnement curatorial dans l’élaboration d’un langage artistique personnel. Au fil des années, l’atelier de Revital a accueilli des centaines d’artistes; niché dans un grenier sombre, il s’est transformé en un havre de paix, fondé sur l’élargissement des connaissances et sur un dialogue humain et professionnel pour promouvoir la création.


Dans cette exposition unique, les visiteurs découvrent vidéos, gravures, photographies, broderies, collages, bas-reliefs, moulages et sculptures, aux côtés de dessins et peintures à l’acrylique, à l’huile et à l’encre, sur des supports classiques mais aussi inattendus, comme du papier bulle, du polystyrène ou des objets trouvés. Un concept original et surprenant qui vise à donner du baume au coeur au public israélien, submergé par une réalité complexe.


"50% des femmes qui participent à l’expo ont rejoint notre grande famille artistique pour cette édition. Tous les deux ans, j'organise un événement culturel de ce genre. Plusieurs artistes répondent présentes depuis le début. C’est un processus très intime, et intense. Il s’agit d’intégrer 37 vies dans la mienne et de les accompagner tout au cours de leur création. Je prends ce rôle très au sérieux!", affirme Revital Ben-Asher Peretz.

Revital Ben-Asher Peretz @Ofer Hajayov
Revital Ben-Asher Peretz @Ofer Hajayov

Les œuvres réagissent au temps et au lieu, aux traumatismes personnels et collectifs, ainsi qu’aux bouleversements incessants qui caractérisent notre époque. Certaines femmes s’inspirent des paysages israéliens, de la guerre, de l’agriculture locale et du lien profond à la terre, tandis que d’autres cherchent refuge dans une nature rêvée et lointaine. Des questions d’identité personnelle, de corps, de genre, de rituels, de famille et de relations intergénérationnelles émergent de ces créations et tissent une trame de voix multiples.


La singularité de l’exposition "Monter d’un étage" réside dans sa diversité, mais aussi dans la cohérence qui s’en dégage, issue d’un enrichissement mutuel au sein d’un espace de travail partagé. Les œuvres de l’atelier aspirent à répondre aux critères de la "loi des trois", formulée comme étalon artistique : ravir l’œil par la beauté et l’attention portée à la composition, aux couleurs et aux formes ; toucher le cœur par une réaction émotionnelle ; et stimuler l’esprit afin d’éveiller l’intérêt, les interrogations et la réflexion.


Des mondes opposés cohabitent


"On travaille en petit groupe, les femmes échangent beaucoup entre elles tout en préservant des moments de solitudes propices à la création. Les artistes ont des parcours différents, certaines se sont lancées dans l’art à l’âge de la retraite tandis que d’autres ont davantage d’expérience. Mais toutes ont ce besoin très fort de s’exprimer à travers l’art et, ici, on leur donne la place nécessaire pour le faire de la meilleure manière qu’il soit", déclare Revital.


"Monter d'un étage" se réfère à l’escalier du studio que les femmes empruntent plusieurs fois par semaine pour accéder au toit. Le chemin est "accidenté", les marches "un peu cassées", mais en haut se trouve un lieu qui renferme les peurs, les angoisses et les questionnements des artistes. "Monter d’un étage" symbolise aussi la volonté de toujours s’élever et s’améliorer.


"La guerre que nous vivons depuis le 7 octobre a beaucoup impacté les travaux. Quelques unes des femmes artistes expriment même leur nostalgie par rapport à l’Israël d’avant, qu’elles ne retrouveront jamais, en revanche, d’autres préfèrent représenter des paysages fictifs, par besoin d’évasion", souligne Revital. 

Oeuvre de Riva Zohar @Ella Orgad
Oeuvre de Riva Zohar @Ella Orgad

Riva Zohar, réalise des paysages à la limite entre le réel et le fictif, où les arbres prédominent. Il n’y a ni personnages ni scènes figuratives dans ses œuvres. Ce sont des éclats, des fragments, des morceaux de bois, des branches brisées, du silence, du temps interrompu, de la mémoire perdue. Chaque dessin, sous une forme quasi topographique, présente des éléments de bois bruts ou travaillés, suspendus dans l’espace.


"J’utilise la matière pour créer une tension entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent. Les œuvres apparaissent comme des reliques brûlées, des présences abandonnées dans l’obscurité, isolées au milieu d’un vide profond. Les arbres que je représente ne sont pas des structures physiques fixes. Ils sont des corps vivants, porteurs d’innombrables fonctions biologiques et témoignent d’une vision de la nature où l’effacement et la fragilité sont inscrits dès l’origine. C’est ce paysage intérieur que j’explore : un espace saturé d’absences, où les émotions s’effacent ou se déplacent hors du champ visible. Ce sont des lieux de transformation, de témoignage et de silence", explique Riva Zohar à Itonnews.


L’étude des pratiques médicales au service de l’art


Dans un tout autre genre, Raheli Gabriel offre une représentation de la gynécologie, des traitements de fertilité et du rapport au corps des femmes, en s’inspirant de son expérience personnelle combinée à son étude du sujet. Raheli peint à l’acrylique, dans un style minimaliste, presque chirurgical. Elle représente des instruments médicaux anciens, des dispositifs délicats et complexes, des éléments issus du génie biomédical, qui suggèrent une manipulation du corps, sa fragmentation, ou son reconditionnement à des fins cliniques.


Oeuvre de Raheli Gabriel @Ella Orgad
Oeuvre de Raheli Gabriel @Ella Orgad
"Je me suis intéressée aux examens gynécologiques que subissent les femmes, qui peuvent être inconfortables voire traumatisants. La plupart du temps, on est mal à l’aise sur la chaise, dans une position qui flatte peu. Je m’intéresse aux vécus des femmes dans le domaine de la gynécologie — des expériences souvent complexes, intimes, qui rassemblent douleur, vulnérabilité, diagnostic et perte de contrôle. J’expérimente divers matériaux et structures, en m’inspirant des outils médicaux utilisés lors des examens", raconte Raheli.

Le langage devient outil pour déconstruire, relier ou inverser des narrations liées aux expériences gynécologiques — en proposant une réflexion sur le pouvoir médical, et sur les sensations corporelles fondées sur cette autorité.


Michal Ben Lulu, originaire de Bet Shemesh, ose apporter une touche féminine dans un monde religieux masculin. A travers ses aquarelles très originales, elle aborde les problématiques de la foi, et la manière dont Dieu nous envoie les choses en temps et en heure. Michal peint aussi sur des parchemins avec différentes techniques : encre, aquarelle, fusain, crayons de couleur et gravure. 


"Je suis fascinée par le lien entre la matière et la création de l'histoire. Je raconte des histoires modernes à travers le parchemin. Il permet de transmettre des émotions profondes. Le corps devient alors un médium dans la création de mon monde intérieur. Les œuvres sont influencées par ma perception féminine, par une tentative de compréhension et par le lien que je tisse entre l’art et l’effort. Au cœur de tout cela, figure l'envie de capturer l’éternité du peuple d’Israël, dans les plus petits gestes du quotidien", déclare Michal.


Créer pour vaincre la cruauté


Si la date du 7 octobre 2023 a marqué au fer rouge l’ensemble de la population israélienne, elle a surtout profondément influencé la créativité d’une majorité d’artistes, qui libèrent dans leurs œuvres la douleur, mêlée à l’instinct de survie d’une nation tout entière. Ruti Sofer a dédié ses travaux au kibboutz Beeri, qui a payé un lourd tribut avec des dizaines de maisons incendiées par le Hamas et plus d’une centaine de morts. 


Ruti a transformé l’horreur en merveille. Ses trois grandes peintures en acrylique rendent hommage au kibboutz. Chaque toile l’interroge et l’amène à formuler des questions essentielles. L'œuvre vit alors grâce au dialogue qu'elle entraîne entre la Ruti femme et la Ruti artiste. 


Oeuvre de Ruti Sofer
Oeuvre de Ruti Sofer
"J’ai mis en tension le côté sombre du deuil, de la perte et de la destruction face à l’espoir d’un avenir meilleur. J’ai fait jouer les contrastes et mis en contradiction ce que vivent les Israéliens. Les extrêmes coexistent en moi : la couleur et la brisure, la lumière de l'espoir et la mélancolie profonde. Entre ombre et éclat, fragmentation et silence, je cherche à dessiner un espace vide et chargé à la fois, un lieu de potentiel", affirme Ruti.

Enfin, Michal Mayo offre une oeuvre en multisupport sculpture, vidéo et photos où elle se met en scène. On la voit notamment se coucher sur une représentation d'elle-même embrassant la terre, dans une sorte de mise en abyme.


"Mon travail porte sur des sculptures et vidéos stylisées que je crée en parallèle de mes travaux photographiques. J’enquête sur les émotions via la photo, pour montrer comment notre âme parcourt le temps. Mes photos et vidéos témoignent de mon ressenti, cela me permet de divulguer diverses facettes de mon moi et de les mettre en lumière. Je prends des photos de moi d'il y a dix ans et grâce à la vidéo je rends possible un dialogue avec mon moi d'aujourd'hui, c’est un mouvement intérieur entre les différents moi", raconte-t-elle.


Oeuvre de Michal Mayo
Oeuvre de Michal Mayo

Dans ce processus, elle se concentre sur l’espace situé entre les formes sculpturales. Elle explore alors des dimensions émotionnelles plus vastes, et écoute sous la surface — les voix silencieuses. Michal travaille avec trois types de sculptures photographiées en les utilisant comme matière vivante. Le corps, la terre, les racines, la paille transmettent les tensions entre l’organique et le plastique, l’imaginaire et le réel, et le marbre et la chair. 


"A chaque fois, je suis émerveillée de la manière dont nous continuons à créer et amener la culture sur le devant de la scène malgré la guerre et les jours difficiles que nous traversons, avec tous les défis que cela comprend. La réalité nous challenge, mais nous persistons car l’art est salvateur. C’est la meilleure réponse aux obstacles qui ternissent nos vies. Cette échappatoire prouve que l'existence est plus forte que tout", a conclu Revital.

Dans un contexte où la réalité quotidienne met à l’épreuve la création, cette exposition rappelle avec certitude que l’art demeure un espace de résistance, de partage et d’élévation — un pas de plus vers la lumière, malgré les marches parfois brisées.


L’exposition est à découvrir jusqu’au 20 septembre au 9 rue Alharizi à Tel Aviv.

Les 18 et 20 septembre, des visites guidées auront lieu de 10h à 16h.


Caroline Haïat




 
 
 

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